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Photo de L’Araignée rouge

L’Araignée rouge

Jean Delville (Illustrateur de couverture), Fabrice Delphi ( Auteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/10/04  -  Livre
ISBN : 2843622530
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Nathalie   - le 20/09/2018

L’Araignée rouge

Delphi Fabrice, Gaston-Henri-Adhémar Risselin de son vrai nom, s’est fait connaître en 1900 avec L’Araignée rouge, courte pièce interdite par la censure et dont il tirera le roman du même titre paru en 1903. La même année fut représentée Clair de Lune, une pièce de théâtre que Fabrice avait co-écrite avec Jean Lorrain. Il collabora également avec Paul de Pitray, Maurice Goublier et Oscar Méténier. A la mort de ce dernier, Fabrice oriente sa production vers la littérature populaire, abandonnant la veine décadente qui se manifeste dans L’Araignée rouge.

Une araignée au plafond


Andhré Mordann un jeune homme las de vivre et d’écrire retrouve son âme d’enfant et l’entrain qui la caractérise dès qu’il s’agit de persécuter des insectes et tout particulièrement de livrer des mouches en pâture aux araignées. Essayant de renoncer à cette activité il regagne Paris et y croise un ami de fête, Pierre de Nidine, perdu de vue quelques années auparavant. Celui-ci s’est marié et sa félicité conjugale souligne par contraste la détresse morale d’Andhré qui dégoûté de tout et de tous, effrayé par un Fantôme qu’il aperçoit en divers endroits ne trouve de repos que dans l’éther, le haschisch et la morphine.
Rien ne le distrait durablement de son obsession le Fantôme revient sans cesse. En compagnie de Louisette, sa cousine et future femme, Andhré déplie un vieux costume de « zouzou  » porté dans son enfance pour un bal. Une énorme araignée rouge a trouvé refuge dans ce déguisement et en l’apercevant, tout s’éclaircit dans la pensée d'Andhré : il est poursuivi et harcelé par Arachné !
A voir des pattes velues à la place des mains ne finira-t-il par commettre un crime avec les siennes ?

Un contraste saisissant

Ce journal d’un fou comporte deux univers très distincts qui s’entremêlent parfois et sont tous les deux très bien rendus. Il donne à lire dans un style précieux les pensées nourries de références artistiques du XIXè siècle d’Andhré. Celui-ci, tantôt languide tantôt exalté, trouve de l’apaisement dans de nouvelles lubies ou dans les paradis artificiels mais sans cesse son cauchemar le rattrape.
Ces papiers « griffonnés de pattes d’araignée » témoignent également d’existences toutes autres : dans ses errances, Andhré fait d’ « équivoques connaissances », il fréquente des filles et des bandits qu’il accompagne au casino ou dans d’interlopes fêtes. Son texte inclut lors de ces épisodes nombre de termes argotiques et de chansons canailles.
Derrière ce récit vertigineux de la descente en enfer d’Andhré s’esquisse en filigrane un portrait amer mais plutôt vif du Paris de la Belle Epoque.

Intéressante mise en perspective

La collection Terres Fantastiques fait une fois de plus œuvre d’histoire littéraire en adjoignant au texte de Fabrice plusieurs documents qui l’explicite, le prolonge ou le reprenne.
Le texte de la pièce interdite après sa première représentation, comme le laisse à penser son sous-titre (« scènes de la vie des courtisanes »), n’explore qu’un des deux aspects du roman : Andhré met des prostituées au service de son obsession mais les filles de joie s’effraient de son vice.
Le journal du Dr Hedderson, une nouvelle de Horst H. Wehner parue en Allemagne en 1919 relate un délire assez semblable à celui d’Andhré qui ne s’achève pas même avec le meurtre de la personnification de l’Araignée : le commissaire chargé de l’enquête adopte à son tour un comportement pour le moins dérangé…
Enfin, on l’a déjà dit Jean Lorrain et Delhi Fabrice se connaissaient et ont écrit ensemble deux textes : Clair de Lune et un roman L’Homme de joie, publié en 1919 sous le seul nom de Fabrice. L’Araignée rouge est dédiée à Lorrain. La dédicace reprend un article dans lequel Lorrain citait Fabrice comme appartenant aux arpenteurs du « terrain vague » aux côtés d’écrivains plus illustres ; Fabrice expose avec une auto-dérision manifeste la genèse de L’Araignée et remercie Lorrain de son intérêt.
En fin de volume est reproduit un texte de Lorrain portant le même titre. L’Araignée rouge est ici une comtesse soupçonnée d’avoir extenué jusqu’à la mort un de ses amants et immortalisée en un portrait symbolique par son amant suivant avant qu’elle ne se suicide (ou qu’on ne la suicide aux dires de certains…). Suivent des lettres de Lorrain expédiées à Fabrice qui témoignent directement de leur relation humaine et littéraire.
Encore une fois, on se réjouit que Xavier Legrand-Ferronnière retisse patiemment la toile de fond littéraire de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Bien plus que de la résurrection d’un passé évoquée par Mordann sous l’influence du haschisch , c’est de la réappropriation d’un patrimoine fantastique intemporel qu’il s’agit !

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