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L’Ascension et autres récits

Marc-Antoine Mathieu (Scénariste, Dessinateur), Jean-Luc Mathieu (Scénariste)
Aux éditions : 
Date de parution : 28/02/05  -  BD
ISBN : 2847891617
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Nathalie   - le 20/09/2018

L’Ascension et autres récits

Diplômé de l’école des Beaux-Arts d’Angers, Marc-Antoine Mathieu prête son talent et son imagination à de nombreuses expositions. Il a notamment participé plusieurs fois à la scénographie des expositions présentées lors du festival d’Angoulême : « Espagne-Espagne » en 1989, « God save the Comics » l’année suivante ou encore la rétrospective Moebius-Giraud pour l’édition de l’an 2000. Pour Lille Capitale européenne de la culture en 2004, il a imaginé une véritable forêt suspendue. Si son coup d’essai en BD date de 1987 avec Paris-Mâcon, L’Origine, premier tome d’une série qui à ce jour compte cinq albums mettant en scène Julius Corentin Acquefacques marque son coup de génie. Imaginez un rêve où Escher (pour les incongruités graphiques et géométriques) collaborerait avec les maîtres de l’absurde (de Lewis Caroll à Dino Buzatti en passant par Kafka) en incluant dans ses recherches des données scientifiques (physique et chimie à l’honneur) et de réflexivité relevant de la méta-BD et ajoutez un-je-ne-sais-quoi d’indescriptible qui n’appartient qu’à Marc-Antoine Mathieu, vous obtiendrez l’instable et très inventif univers dont Julius est l’âme aussi bien que l’otage.

Au sommet de son art

Le recueil s’ouvre sur une histoire inspirée de Borges et qui n’est pas sans rappeler la situation dans laquelle se retrouve le protagoniste du Dessin (publié en 2001) ou encore celle de l’épisode du phare dans La qu…, tome 2 de Julius Corentin Acquefacques. Un homme quitte les sous-sols de l’enfer et gravit tous les paliers d’un système où les diverses représentations du monde se succèdent : la transformation en plan de l’architecte, l’expérimentation répétitive, à bout de bras et à la sueur de son front, du sonneur de cloche, l’approche théorique de sommités poussiéreuses, la transposition artistique dans la pierre ou sur la toile et enfin la révélation par la lumière. En effectuant ce parcours, l’homme s’élève à la compréhension du plus grand des mystères… Comme dans les Julius, le graphisme suit l’intrigue. Au départ, l’homme est anonyme et représenté de dos, à contre-jour ou partiellement et au fur et à mesure de sa progression, il est dévoilé. De même, la place laissée à l’individu augmente au niveau de l’architecte, de nombreuses personnes occupent les lieux et vaquent à leur occupation sans se soucier de l’homme alors que le peintre et le laveur de carreau l’accueillent en lui disant qu’il était attendu. Mais arrivé au cœur du mystère, au centre de l’atome, d’autres éléments peuvent se redéployer pour retrouver, à partir de l’infiniment, petit l’infiniment grand. Les érudits sont recouverts de toiles d’araignée, traits parasites symboles de la vacuité de leur discours. Un zoom sur les sculptures des cathédrales qui occupent presque entièrement les vignettes de la page 18 crée un effet d’histoire dans l’histoire et rend un bel hommage à ces bas-reliefs dont il est communément admis (au moins parmi les guides chargés d’animer le patrimoine religieux) que ce sont les ancêtres des BD.

Une histoire de famille

Les quatre récits suivants sont inspirés de nouvelles écrites par le frère de Marc-Antoine, Jean-Luc Mathieu. Ces histoires questionnent le rapport de l’individu à l’espace, à la communauté, à son propre passé ou au futur dont il a rêvé mais qui lui sera refusé.

La première, Chez Noël, est la plus fantastique des quatre. Une communauté de vieux est décimée en quelques mois, le héros, un jeune homme, assiste à cet effet de domino et prend la fuite juste avant que la rue sans nom ne se disloque.
La deuxième décline le thème des fenêtres sur cour : que placent sous les pavés ces deux hommes qui, figés derrière leur fenêtre respective, scrutent la chaussée du passage Saint-Eloi ? Un troisième observateur neutre ne peut que constater l’impossibilité mathématique (géométrique même) de leur délivrance. Affaire de perspective, dans l’intrigue comme dans le trait.
Dans la troisième, un homme rapporte l’étrange attachement d’un de ses collègues et néanmoins amis qui a légèrement déraillé.
Enfin, la dernière ridiculise les ambitions d’un homme qui, terré pendant quatre ans, a minutieusement préparé un assaut criminel. Mais la mort n’a pas attendu la sortie de ce brave petit soldat pour l’offensive finale. Pour souligner le choc, Mathieu a instauré un fort contraste graphique entre la tanière obscure du soldat, surchargée par son attirail de symboles exaltants, et l’enchevêtrement de décombres, minces traits sur fond stérilement blanc d’où émergent des poteaux électriques comme des mâts de bateaux abîmés.

Tranches de vies rassises

Monsieur Hamid raconte à qui veut bien l’entendre ses années de gloire, quand il était le grand boxeur, adulé des foules, Oscar Cesario. Mais cette complainte n’est pas assez percutante pour captiver un quelconque auditoire. Et l’homme qui fut sous les projecteurs, acclamé par une foule carnassière pose seul à sa table, sans spectateur pour ses vieux clichés.
Seul, le vieux resté à quai de l’existence qui se promène sur le port de Nantes ne l’est pas tout à fait puisqu’il a son chien Riki, les programmes de la télé et de la radio, les blagues de Jules et le va-et-vient des voitures à quoi se raccrocher. Ces infimes béquilles d’une vie sans entorse ridiculisent la grandiloquence de certains mots que le vieux emploie dans une tournure ambiguë et qu’il minimise la vignette suivante en la replaçant dans son modeste contexte.
Le dessin de La Valise est plus dépouillé, à l’image de l’homme d’affaires qui vante la fonctionnalité de son organisation et de ses possessions avant de se retrouver verrouillé, pris au piège de son propre système. Aux gros plans triomphaux et aux discours assurés, dont chaque élément clé est mis en évidence, succèdent des cases où l’étau se resserre sur l’homme d’affaires jusqu’à la dernière vignette où le noir domine et où le discours n’est plus assuré, l’on sent bien que les comptes que l’homme devra rendre seront moins maîtrisés que ceux qu’il communique à son comité d’entreprise.

Dans cette chambre plus obscure et plus statique que celle de Julius, Marc-Antoine Mathieu développe huit négatifs de la condition humaine et dans un vertige graphique révèle les ascensions, les chutes ou les stagnations de l’être humain.

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