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Yapou, bétail humain

Shozo Numa ( Auteur), Sylvain Cardonnel (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 30/09/05  -  Livre
ISBN : 2268055663
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Eric   - le 31/10/2017

Yapou, bétail humain

Shozo Numa est le nom de plume d'un gaillard octogénaire japonais qui signait en 1956 ce premier roman. Régulièrement réédité dans son pays, adapté en manga et presque porté au cinéma par David Lynch, Yapou, bétail humain va sans peine s'attirer un petit culte en France. S'y adonneront certainement ceux qui pensent que l'outrance fait office de génie. La passion des étiquettes à la mode et à préfixes - post, pré ou trans - et le fossé presque infranchissable entre les cultures occidentale et japonaise que certains n'hésitent pas à combler avec une admiration béate fera le reste.

On croit facilement Shozo Numa lorsqu'il confesse avoir dévoré nombre de romans de SF américains que les G.I cantonnés au Japon après la fin du conflit revendaient en occasion. Yapou, bétail humain commence presque comme l'un d'eux, avec le crash d'un vaisseau sur une montagne d'Allemagne. Seul témoin de l'accident un couple de cavaliers. Clara von Kotwitz est une jeune Allemande issue d'une aristocratie déchue. Rinichiro Sebe quant à lui est un brillant étudiant japonais. Tous les deux sont fiancés, leur mariage est programmé, ils s'aiment et s'ouvre à eux un avenir bien plus prometteur que ne le fût leur passé d'enfants de la défaite.

A bord de l'appareil, qui s'avère être un vaisseau temporel du XLème siècle, gît, inconsciente, Pauline Jansen. Ressortissante d'un empire galactique matrimonial où les Blancs règnent en maître - l'EHS -, elle croit reconnaître en Clara l'une de ses semblables. En revanche, elle ignore superbement Rinichiro qui, il est vrai, suite à un improbable concours de circonstances s'est présenté nu devant elle. Mais très vite, le jeune couple va comprendre que ce qu'ils avaient tout d'abord prit pour un accès de pudeur de la part de Pauline n'est en fait que l'expression d'une réalité bien différente. Car toute l'économie d'EHS s'appuie sur l'exploitation des Yapous, les descendants des Japonais du XXème siècle. Et cette exploitation est totale. Une fois qu'il fût scientifiquement prouvé que les Asiatiques n'étaient pas des hommes, mais des anthropoïdes doués d'une remarquable faculté d'imitation, ils furent élevés, chirurgicalement modifiés et utilisés pour devenir du bétail, fournissant nourriture et cuir, mais aussi des meubles vivants, des chiens de chasse, des animaux de compagnie, des jouets sexuels et même… des toilettes vivantes.

Le luxe de détails avec lequel Shozo Numa décrit cette humiliation totale du peuple japonais est tout d'abord assez fascinant, ne serait-ce que par son côté excessif. L'extrême minutie de ses descriptions intrigue. Laisse perplexe. Il est très vite évident que cette dégradation systématique n'est pas gratuite.

Il faut d'abord se rappeler que Yapou, bétail humain fût écrit au lendemain de la guerre. Les Américains en obligeant l'empereur à paraître en public puis en occupant le pays pendant sept années, firent trembler les fondements les plus solides de la société nippone. Un épisode de leur histoire qui fût vécu par nombre de Japonais comme une inacceptable humiliation qui, inévitablement, apparaît ici en filigrane. Mais bien plus encore y surnage les propres démons de Shozo Numa. Ses penchants masochistes prennent, dans une société encore marquée par le féodalisme, une dimension très différente de ce qu'elle est en Occident. Sa jouissance de l'humiliation n'est accessible qu'en prenant en compte la notion de dissolution de l'individu dans le néant de la masse. Notion qui est radicalement étrangère à notre culture. Ainsi l'apparente "familiarité" de l'inconscient de l'auteur n'est qu'un leurre, qui ajoutera certainement à son succès, mais n'en sera pas moins illusoire.

La démesure de cette néantisation pourrait néanmoins rendre tout à fait pertinente cette vision du futur, si elle ne se faisait pas au détriment de l'intrigue. Car si la narration évoque Danielewski ou Vonnegut,  Yapou, bétail humain n'est finalement que la litanie des fantasmes les plus délirants de Shozo Numa. Un exutoire, et rien d'autre. La dimension SF n'étant qu'un prétexte pour décrire avec une précision d'entomologiste les avanies subies par les Yapous. On pourra apprécier, ou pas, en fonction des ses inclinations personnelles. Mais il n'en reste pas moins que cette interminable suite d'avilissements, certes raffinés, lasse vite, pour finalement - disons le tout net - faire un tout petit peu chier (dans la bouche, cela va sans dire…).

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