Les Enfants du plastique
Blogger assidu, trentenaire christique -33 ans aux pâquerettes - et fan de rock (en dépit d'une fascination qu'on pourrait facilement qualifier de morbide pour Philippe Manœuvre), Thomas Clément précise, à juste titre, sur son blog qu'il est aussi écrivain depuis le 2 février dernier. Les Enfants du plastique, c'est lui, c'est nous. Connectés, téléspectateurisés, médiagavés… pasteurisés en somme, c'est un peu notre futur proche qu'il tente de nous dépeindre dans son premier roman. Se reconnaîtra-t-on dans le parcours désabusé de Franck Matalo, 37 ans, et impitoyable P.D.G d'UNIQUE ?
UNIQUE – anciennement Universal Music – est devenue la major du disque. Enfin du disque, façon de parler. En 2010 on télécharge, on se revend du bit crypté fabriqué à la chaîne selon des process éprouvés. Et c'est parce qu'il fût le premier à le comprendre que Franck Matalo est aujourd'hui "Monsieur-Industrie-Musicale-en-France". L'élaboration d'un tube est devenue une affaire de professionnels où hasard et créativité n'ont plus la moindre place. Plus fort encore, a été éliminée cette source d'emmerdes insolubles que sont les artistes. On leur préfèrera des marionnettes markettées qui play-backent docilement sur une soupe produite en laboratoire.
C'est d'ailleurs ce qu'il explique fièrement à son jeune invité, un échappé d'un passé révolu – un rocker (tu le crois ça ?) - venu lui remettre une maquette, que par envie de se distraire Franck Matalo a condescendu à écouter. Pendant dix secondes. Avant de l'envoyer se fracasser contre le mur de son bureau designé par un quelconque architecte d'intérieur qui prend 3000 euros chaque fois qu'il sort un crayon de sa poche.
Une fois encore, sa clairvoyance proverbiale n'avait pas trahie Franck Matalo. Ce gamin en veste de treillis avec son sac US était bien un fantôme du passé. Le fils de son ancien bassiste, qui lui faisait parvenir, en souvenir, le master de leur album jamais sorti. Une relique en quelque sorte, que Franck venait juste de fouler au pied. En se brisant à terre, les effluves d'une autre vie s'en étaient échappées pour envaper le tout puissant P.D.G d'UNIQUE, et le renvoyer vers un avant. Avant tout ça. Quand la musique était sa vie. Quand il aimait sa femme. Quand il était encore un père. Avant que la mort ne vienne lui prendre sa fille.
Franck Matalo s'est perdu en route. Il est temps maintenant de se retrouver, et la rédemption va se matérialiser sous la forme d'un combo punk limougeaud : Intestin.
Bon, j'ai bien connu un groupe de punks qui après avoir longuement hésité à s'appeler Diarrhée Noire, avait finalement opté pour Psychanalyse d'Urine, alors pourquoi pas Intestin ? Et puis ça résume finalement assez bien le propos de Thomas Clément : "L'intestin c'est l'usine à merde, ça aurait fait un bon nom pour une maison de disque.". La maison de disque n'étant bien entendu ici que la miniature de notre société toute entière. Ah ben oui… Il n'est pas très reluisant le portrait. Mais pas toujours très juste non plus.
Car lorsqu'il est dans le démonstratif, Thomas Clément nous fait craindre le pire. En dépit d'une écriture cinglante et souvent drôle, on redoute dans toute la première partie du roman la leçon lourdingue. Un effet décuplé par la société bizarrement univoque qui nous est décrite, où il y a une major, une chaîne de télé. Bref Thomas Clément nous emmène dans un monde où lorsqu'un système efficace est lancé, rien ne parvient à perturber l'ordre des choses. Un monde dont tout chaos est absent, même lorsqu'on s'emploie ardemment à le distiller de l'intérieur. Le contraste est d'autant plus dérangeant que, dans l'ensemble, le tableau qu'il dresse de l'industrie du disque est d'une extrême justesse. A peine caricatural, il frappe souvent dans le mille. Ainsi la manière dont Franck Matalo éradique le .mp3 n'est pas sans rappeler la récente et désolante affaire des rootkits de Sony/BMG. On s'agace donc de ce paradoxe, tout comme de ce groupe de keupons inutilement outranciers, qui semblent tout droit sorti d'une chanson des Wampas.
Et puis, une fois quelques salves "d'enculés" assaisonnés de nihilisme à deux balles balancées, Intestin prend - si je puis dire - un peu de contenu et ça semble être le déclencheur d'un nouveau rythme pour le roman, qui bascule dans un binaire amphétaminé presque Ramonien. On se laisse entraîner par les tentatives de sabordage de ce P.D.G parti en vrille, et on s'amuse de ses succès involontaires. Quelques scènes sont tout simplement à hurler de rire (la présentation de la campagne de lancement de l'album m'a fait passer pour un débile ricanant dans le métro, et heureusement, j'étais chez moi pour les scènes de l'interview au Costes et de la Star Ac'). Accelerando, Les Enfants du plastique partent enfin à 130 bpm vers un climax en forme de n'importe quoi jubilatoire, qu'on doit prendre pour ce qu'il est : une sale blague de punks.
Pour son premier roman, Thomas Clément s'impose avec une écriture qui parvient à être cynique sans être branchée – un tour de force de nos jours -, et a suffisamment de distance pour donner tout l'impact requis à son sujet. Si les Toy Dolls avaient dû écrire un roman, ça aurait sans doute donné quelque chose d'assez proche. Résultat, un bon moment de lecture résolument Fuck Off, Piss Off, No Future, Suck My Dick, qui fait un bien fou.