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Le secret de Nikobus Kéton

Daniel Chambard (Coloriste), Jeff Baud ( Auteur), Sylviane Sidoit (Coloriste)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/03/06  -  BD
ISBN : 9782910867250
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Christian   - le 27/09/2018

Le secret de Nikobus Kéton

En 2009, les Éditions Tartamudo fêtent leurs dix ans. Ancien dessinateur, José Jover, le patron, n’hésite pas à afficher ses ambitions : renouveler la BD fantasy et SF ou le roman jeunesse. Il veut « éditer des ouvrages de qualité, allier modernité et culture, en produisant des objets de divertissement populaires, beaux et graphiquement élaborés, développer un regard critique mais plein d’humour sur le monde et sur notre époque ». Ce qui est déjà moins difficile, mais qui témoigne tout de même de certaines exigences en qualité.  Militant de la diversité et de la citoyenneté, cet humaniste chaleureux construit, album après album, un catalogue à son image. Pour donner un second souffle à la BD SF, il a créé la collection « Geek Connexxion », qui réunit un groupe d’auteurs partageant les mêmes valeurs et désireux de marquer le genre de nouvelles empreintes graphiques.

Dans cette écurie Tartamudo, on trouve Juan Maria, auteur de la série Lost conquistadores, les Puvilland père et fils créateurs de la série Abaak, Vinz El Tabanas, le dessinateur du Miroir des Templiers, coscénarisé par José Jover et Jef Martinez, Mathieu Trabut, auteur de Terre de son nom et, enfin, Jeff Baud. Le scénariste-dessinateur autodidacte de Doménico a surtout travaillé, jusqu’à aujourd’hui, pour l’animation (Astérix, Babar, Disney France). Cette première série est donc une œuvre personnelle, une série longtemps en gestation, construite autour du personnage disneyen du nain Doménico. Une série fantastique tout public qui mêle références féériques et historiques.

À la recherche du médaillon perdu

Le nain Doménico, sa chouette Biviziki et l’indien One-Tooth arrivent jusqu’à la demeure de Monsieur Firefox, perchée sur un arbre géant. Ce riche renard les accueille avec chaleur. La lettre qu’ils lui ont envoyée a éveillé sa curiosité. Doménico a trouvé dans une bouteille à la dérive le message crypté de l’alchimiste Nikobus Kéton. Un puissant secret pourra être possédé par celui qui déchiffrera le message et détiendra le médaillon « Gorik ». Et justement, One-Tooth pense avoir retrouvé trace du médaillon. Pour éviter qu’il ne tombe entre les mains des sœurs Mannebraize et de leur nièce Isabeau.

Arrivés à Dingobart, nos héros vont s’apercevoir qu’ils sont suivis et qu’ils ne sont pas seuls sur l’affaire. Un certain seigneur chevalier venu d’un autre âge, Dietrich de Stolein, revendique la possession du médaillon. Et là, le secret de Nikobus Kéton va prendre une toute autre dimension…

Le secret de Nikobus Kéton : l’hybridation graphique

Voici un album étrange qui combine de façon originale des formes standard de la production BD. Un hybride graphique entre L’Histoire de France en bande dessinée, la série De cape et de crocs et Disney. Très étrange, ce mélange volontaire de styles qui donne l’impression, d’une page à l’autre, d’être dans des univers graphiques différents. Étrange également, cette maîtrise graphique insolente associée à de (rares) approximations de débutant. Les expressions des visages sont remarquables. Les mouvements des corps sont parfaits (les attitudes théâtralement décontractées des « Frères du sommeil » sont tout bonnement impressionnantes). Il est rare de voir parmi les auteurs actuels de BD une telle aptitude à reproduire le même personnage sans faille dans toutes les positions. Les scènes de bataille sont d’un réalisme lyrique époustouflant. On aurait aimé les voir illustrer nos livres d’histoire ! Et puis, comme pour gâcher ces prouesses, des images pleine page avec un indien hors proportion qui tient mal sur son cheval, d’une épaisseur de trait qui tranche avec les autres cadres. Un vilain renard foudroyé sur une quasi-page. Les pleines pages sont plutôt mal senties. Comme s’il était passé subitement du crayon fin au pinceau épais.

Le mélange des styles graphiques, rare au sein d’un même album, témoigne du savoir-faire de Jeff Baud, à l’aise dans tous les registres (tiens, pas de manga, pour une fois). Comme si des personnages de conte s’étaient introduits dans une réalité décalée (l’intrusion de toons dans la BD historique). En fait, chaque personnage illustre un style différent. Le renard est un personnage de Disney, le nain Doménico vient tout droit de la BD comique pour enfant, l’Indien One-Tooth est un hybride d’Uderzo et de Jijé. La pulpeuse Isabeau aux formes fermes et rondes évoque les corps érotisés de Gibrat, Serpieri ou Marini. Les Vénitiens ont des faux airs des personnages masqués du peintre Campana. Quant au chevalier Dietrich de Stolein, il évoque les dessins historiques réalistes trop dessinés, aux traits d’encre répétés, d’Eduardo Coelho ou de Julio Ribera. Globalement, ces personnages parviennent à cohabiter, car, sur plusieurs pages, l’histoire prend le pas sur le dessin, mais ce manque d’unité graphique (volontaire, mais non revendiqué), pour original qu’il soit, donne un sentiment d’inabouti.

Les décors, eux, sont homogènes. Toute la palette des couleurs est utilisée avec des tonalités plutôt chaudes et sombres. Jeff Baud s’est appliqué sur la mise en cadre. L’album commence avec un faible nombre de cases par page, puis, quand le récit se densifie, le nombre de cases augmente, hors scènes spectaculaires en demi-pages. Des dégradés de cases ou des enchâssements originaux de cadres servent bien le récit. Parfois, la taille de la case n’est pas en phase avec l’action ou l’importance du dialogue.

L’histoire, quant à elle, est relativement classique. La découverte d’un mystère dans lequel on est précipité sans préliminaires, suivi de la quête d’un médaillon digne d’un jeu de rôle. À mi-chemin entre fantastique historique et fantasy féérique, on s’interroge sur le Graal final : Immortalité ? Voyage dans le temps ? Nikobus Kéton détient un puissant pouvoir, mais, dans ce premier album, il paraît plutôt démuni contre ceux qui lui veulent du mal. Le secret est encore bien gardé.

Finalement, cette série apparaît bien décalée par rapport à la production courante. Et elle satisfait aux exigences de l’éditeur : qualité graphique, humour, simplicité, hors-norme. L’auteur est bon. Le dessinateur (le même) est talentueux. On le sent à la fois très compétent (un vieux de la vieille) et pas encore totalement à l’aise avec le genre BD. La multiplicité des styles ne fait pas encore tout à fait un style, mais le tout est intéressant. Une série qui prouve que les Éditions Tartamudo ont bien fait d’exister…

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