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En mémoire de mes péchés

Joe Haldeman ( Auteur), Bruno Martin (Traducteur), Kazuhiko Nakamura (Illustrateur de couverture), Julie Pujos (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/03/06  -  Livre
ISBN : 2070320774
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Lavadou   - le 20/09/2018

En mémoire de mes péchés

Auteur américain né en 1943, Joe Haldeman, comme toute une partie de sa génération, a participé à la guerre du Viet Nam. Cette « expérience » a fortement influencé son œuvre, en particulier La Guerre éternelle, son roman le plus populaire, qui a obtenu les prix Nebula et Hugo en 1975 et 1976. Il lui donna une suite en 1998, La Liberté éternelle, qui fut également récompensée. Aujourd’hui, Haldeman publie toujours et enseigne l’écriture au MIT.

Trois enquêtes, trois mondes

Pour une raison qu’il ne comprend pas vraiment lui-même, Otto McGavin s’est enrôlé dans le TBII, service très secret de la Confederación, sorte d’organisation interplanétaire chargée de faire respecter une charte régissant les mondes colonisés par l’homme. Notamment, l’un des articles de cette charte protège les indigènes (humains ou extraterrestres) contre l’immixtion économique, écologique ou politique des entités interstellaires institutionnelles ou industrielles. Ce qu’Otto ne savait pas, c’est qu’il allait subir un entraînement intensif sous hypnose qui allait effacer son caractère pacifiste pour en faire une machine à tuer. Et que la plupart de ses missions se feraient sous couverture en lui « plaquant » un physique et une personnalité de substitution.
On suit ainsi, étalées sur plusieurs décennies, trois enquêtes d’Otto sur différents mondes : Bruuch, planète primitive où les indigènes, sortes de gorilles intelligents, sont exploités par une entreprise minière avant d’atteindre « l’immobilité », semi-mort constituant un véritable mystère scientifique ; puis Selva, recouverte d’une jungle hostile au sein de laquelle une société humaine violente, organisée en clans, prévoit d’entrer en guerre contre un autre monde ; enfin Cendre, qui subit des périodes glacières de 50 ans, dont les habitants, cafards géants doués de raison, intéressent un ordre chrétien qui veut en percer les secrets à des fins pas très catholiques.
Au fil de ces missions, Otto s’interroge de plus en plus sur ce qu’il est devenu.

Une structure et une intrigue qui manquent d’ampleur et de dynamisme…

La plume d’Haldeman est agréable et fluide, et l’auteur prend plutôt un bon départ : présentation des personnages et de l’intrigue à travers des situations, description des mondes par les yeux des personnages plutôt que par de longues et barbantes énumérations (ce qui rend ces mondes vite familiers), grande maîtrise des dialogues (là où certains les coupent « au bon moment », Haldeman les poursuit jusqu’au bout, faisant s’interrompre les interlocuteurs, nous prenant parfois à contre-pied)…

Cependant, la structure globale du roman manque de dynamisme. Les trois enquêtes n’ont pas vraiment de lien entre elles – mis à part le héros – et se suivent un peu mollement. Même si les intermèdes en forme d’interrogatoire sont judicieux et constituent de mini apothéoses, l’ensemble est un peu comme un soufflé qui ne peut pas retomber car il n’est jamais monté.

Ce découpage aurait pu fonctionner si l’enjeu du récit avait été plus ambitieux. Non pas qu’il manque d’intérêt : Haldeman a choisi de centrer son roman sur l’évolution de la personnalité de McGavin plutôt que sur ses enquêtes, et pour cela l’étalement de l’intrigue sur toute sa carrière est un très bon moyen de cerner et comprendre le personnage. D’ailleurs il y a peu de suspens, la résolution de chaque épisode est assez simpliste et ne sert qu’à renforcer l’ambiguïté et la souffrance psychologique du héros, à accroître son expérience et à démontrer son manque de contrôle sur les événements. Pourtant, l’auteur n’atteint pas vraiment son but, se laissant piéger par son intention initiale. Car finalement son discours est plutôt banal et ne parvient pas à se développer, à se libérer de son inertie. La structure du roman, au lieu de le mettre en valeur, emprisonne un propos qui se résume à une simple constatation.

… Mais un environnement digne d’un grand space opera

En revanche, Haldeman semble particulièrement à l’aise dans l’imagination et la description de mondes captivants et originaux. Que ce soit sur le plan politique, économique ou écologique, les systèmes – planètes et indigènes – mis en scène par l’auteur sont aussi variés que crédibles, faisant presque oublier la trame du roman et son manque de dynamisme. Pourtant Haldeman n’explore pas à fond son univers. Manque de rigueur ? Aveu d’impuissance ? Bien au contraire ! En laissant un certain nombre d’éléments dans l’ombre – comme l’origine et le sens du rite d’immobilité chez les Bruuchiens – l’auteur nous aiguille sur une autre voie que la simple résolution factuelle d’un mystère ou l’examen clinique d’une idée. Certains trouveront cela frustrant mais on peut y voir une façon de recentrer l’intrigue sur le point de vue du personnage principal, et d'empreindre le roman d’un certain réalisme naturel : tous les secrets de l’univers ne peuvent être connus d’un seul homme, mais la vie continue. Finalement, ces trois enquêtes ne sont que des étapes de la vie de McGavin, qui les traverse sans forcément en retirer quelque chose (en ce sens, on peut presque le comparer au William Mandella de La Guerre éternelle).

De la même manière, la Confederación est décrite uniquement à travers les dialogues ou les intrigues secondaires, sans plus de détail. Elle reste un organisme flou, sorte de pieuvre aux ramifications évanescentes qu’Haldeman laisse volontairement dans l’ombre. Cela renforce à la fois, sur le plan de l’intrigue, l’impression de manipulation que subit McGavin, ainsi que la cohérence du récit qui aurait souffert de trop de précision en mobilisant l’attention du lecteur sur la Confederación plutôt que sur le héros.

Haldeman donne donc à son récit un « décor de luxe », un habillage d’une richesse extravagante digne d’un grand space opera, sans densifier le texte avec une foule d’informations et de solutions qui auraient nui à son propos.

Une moyenne honorable

En résumé, En mémoire de mes péchés est un bon space opera mais aurait pu être meilleur. Son discours, bien que remarquablement illustré, est assez commun. Reste la description de trois mondes d’une grande originalité et d’une grande cohérence, offrant de très bonnes idées bien exploitées. Une moyenne plutôt honnête qui fait que le roman se laisse lire agréablement.

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