On ne présente plus Dieter Comès, qui a débuté en 1969 avec les séries de gags intitulées Hermann dans les pages jeunesses du Soir. C’est en 1973, que Pilote publie le premier épisode d'Ergun l'Errant, Le Dieu vivant, dont le deuxième opus, Le Maître des Ténèbres, paraîtra en 1980 chez Casterman. Estimé comme l'héritier spirituel d'Hugo Pratt, il écrit L'Ombre du Corbeau. puis publie Silence en 1980, album phare et première œuvre en noir et blanc. Se succéderont par la suite La Belette (1983), Eva (1985), L'Arbre-Coeur (1988), Iris (1991) et La Maison où rêvent les arbres (1995).
Oh ! Les beaux jours…
Nous sommes en décembre 1944, dans les tranchées des Ardennes belges, lorsque Hitler lance un ultime affront aux Alliés. Pris de court, des soldats novices et sous-équipés sont envoyés au charbon. Parmi eux se trouve le bleu, chargé de faire le guet dans un trou hanté par les fantômes de la Grande Guerre, qui attendent désespérément un quatrième joueur pour leur partie de belote…
Né à Sourbrod en 1942, petit village des cantons de l’est, d’un père de langue allemande et d’une mère parlant le wallon et le français, le conflit mondial a laissé une trace indélébile dans la mémoire enfantine de Comès, qui nous délivre une vision surréaliste des aventures du jeune Bleu, sommé de se cacher dans un cratère d’obus au pied du Christ, en attendant les assauts de l’armée allemande.
Cette situation aberrante résonne avec la mise en scène d’Oh les beaux jours de Beckett, où Winnie vaque à ses occupations dérisoires le corps enfoui dans un orifice du désert, où elle coule des jours absurdes en attendant de mourir avec Willie. C’est la même cruauté et le même humour qui sourd à la lecture de Dix de Der, où l’on rencontre les spectres désabusés de la Grande Guerre : l’allemand Manfred et le français Joseph, morts au front, et l’instituteur Trissot, un ultra catholique mort d’une cirrhose du foie, qui hante la statue de Jésus crucifié. Pour tuer le temps, ce beau petit monde jouent à la belote, ou bien assiste au spectacle de la guerre comme les feux du ciel avaient ébloui l’Apollinaire ironique de Calligrammes.
« Le ciel est étoilé par les obus des Boches
La forêt merveilleuse où je vis donne un bal
La mitrailleuse joue un air à triple croche »
La vérité sort de la bouche des animaux… mais lesquels ?
Dans la pure tradition de la prosopopée, viennent se joindre au récit des animaux parlants. Comme George Orwell avait mis en scène la révolte des bêtes contre l’oppresseur humain dans Animal Farm en 1942, les corbeaux de Dix de Der faisant office de curé et de sacristain tentent de sauver le Bleu en prise avec les Allemands pendant que le chat Absouille annonce la venue des Boches la nuit de Noël. De surcroît, ils se livrent à une véritable critique religieuse en chiant sur la croix où le «Saigneur » gît…
Bien qu’original, on ne décèle pas l’intérêt réel du choix de la prosopopée, sinon l’apport de la dimension fantastique désirée par Comès. Mais dans le fond, que nous délivre ces animaux de précieux, hormis la critique acerbe, mais ô combien ressassée, de Dieu ? Rien. L’histoire est desservie par des dialogues très convenus, parfois traversés d’un humour dont la trivialité est indigeste vu le contexte, comme les flatulences dont se vantent les corbeaux repus de cadavre, qui peinent à nous arracher même un sourire…
Les dessins quand à eux sont sobres, bien ficelés, mais laissent à désirer. L’usage du noir et blanc, certes bien maîtrisé et très tranchant car dénué de toute nuance de gris, apparaît presque comme un artifice inutile. Bref, on est déçu.
Uniquement pour les aficionados de Comès.