Un point bleu dans les ondes

Nicolas de Rauglaudre a une formation en physique, mais est également pianiste, « penseur indépendant » en philosophie des sciences, et théologien. Il est également l'auteur de deux essais Apprivoiser le temps, approche plurielle sur le temps et le développement durable, et Le temps et ses usages, propositions pour un développement soutenable, ainsi que d'Initiation à la vie et à la pensée de Teilhard de Chardin, un CD rom disponible sur le site de l'auteur, où sont également présentés d'autres textes (www.nicolasderauglaudre.net).

Vingt-troisième siècle

Igor a tout pour lui. Technicien supérieur sur Mars, il évolue dans un milieu privilégié, fait un métier qui le passionne, est à l'optimum physiquement, et a une fiancée belle, affectueuse et intelligente... Pourtant, il sent qu'il manque quelque chose à sa vie, et son trouble ne trouve que peu d'échos satisfaisants dans la religion cosmique en usage sur Mars. Cette religion, concue soigneusement pour maintenir le calme et offrir des opportunités d'épanouissement sur mesure aux classes supérieures et aux intellectuels (principalement), est pourtant très ouverte envers les diverses interrogations de ses membres... Il éprouve également un besoin inhabituel dans sa société de se rendre sur Terre. Là, il sent qu'il pourrait retrouver quelque chose qu'il ne parvient pas complètement à définir, ses racines, et peut-être même plus...

Manuela vit dans la banlieue de Kourou, en Guyane française, où sa vie entière est dévouée à aider ceux qui n'ont rien. Avec d'autres, elle travaille dans une petite association locale, la Barque. Mais lorsqu'une famille échappée d'une des zones interdites vient se réfugier chez eux, elle va devoir aller plus loin encore dans son engagement.

Un voyage d'Igor sur Terre va réunir ces deux êtres très différents, et bien d'autres, dans un voyage au delà de toutes les zones connues,

Quête de Sens

L'intrigue n'est pas trop prévisible dans ses détails, Nicolas de Rauglaudre parvenant à louvoyer entre certains des pièges inhérents au type de récit qu'il a choisi. Mais baser complètement, comme ici, un roman sur un message spirituel et philosophique est une entreprise hasardeuse. Il est facile de glisser vers le cours magistral, où des personnages sans dimension ne sont là que pour délivrer le message de l'auteur. Un défaut récurrent dans ce roman, les dialogues philosophiques s'éternisant à plusieurs reprises. Car l'important, pour l’auteur, c’est visiblement la partie quête initiatique et la quête de Sens (avec un S majuscule). C'est le seul but d'Igor, héros un peu falot (probablement à dessein), qui est opposé à la chaude convivialité et au bon sens des gens de la Barque. Et c'est là que se situe le premier problème principal. Les dialogues hypertrophiés tuent l'émotion qui aurait éventuellement pu surgir de la rencontre de ces deux mondes. Il est possible de réussir ce type de récit, et de faire émerger la spiritualité et l'émotion née de la rencontre de deux univers différents : on pourrait ainsi citer la saga des trois soeurs, dans les Seigneurs de l'Instrumentalité de Cordwainer Smith.

Malheureusement, et c’est là le second problème majeur, malgré son rôle central, la partie philosophique n'est pas vraiment convaincante non plus, en particulier lorsque l'on connaît un peu d'histoire et d'épistémologie des sciences. L'un des axes principaux de la pensée de Nicolas de Rauglaudre est que la science en elle-même ne suffit pas pour donner un sens à la vie et à l'univers, malgré ce qu'elle prétend. Or, si certains chercheurs et épistémologues ont soutenu un temps que la science suffisait (il doit en rester quelques uns, comme pour la plupart des courants de pensée), il y a belle lurette que cette prétention a été revue... En particulier, le débat s'est nettement déplacé, et la délimitation même de la science le rend caduc : la science n'a pas vocation a fournir du sens, c'est un corpus de méthodes qui permet d'appréhender le monde que nous pouvons observer, tester, c'est à dire le monde matériel (ce qui fait, accessoirement, du matérialisme un élément constitutif de la science, et non un ennuyeux accessoire...). Le débat a quitté depuis longtemps un cours dans lequel de Rauglaudre s'empêtre encore, alors que le récit est censé être situé plusieurs siècles dans le futur. De même, le procès qu'il fait à toute la science pour péché de réductionnisme est déjà daté de nos jours en ce qui concerne la plupart de ses domaines.

Quand au reste des idées présentées, on peut être d'accord ou pas avec cette tentative, qui se situe tout à fait dans la lignée des courants spiritualistes les plus communs, de tenter de plaquer à tout prix un sens sur l'univers pour en donner un à nos vies. D'aucuns diraient que nous n'avons pas besoin de cette hypothèse. Mais cela, c’est à chacun de le décider.