Eric Boissau écrit des nouvelles pour son propre plaisir, comprenez par là qu'il ne s'agit pas d'un emploi à plein temps ni même de son activité principale. Mais il le fait avec tellement de bonheur qu'il rédige des histoires extraordinaires – même pour le contexte d'héroic fantasy qu'il utilise comme support de narration. Certains l'ont même comparé à un nouveau Pratchett français – mais c'est peut-être un peu exagéré...
La Fantasy malmenée
Ce recueil contient les aventures de nombreux héros de valeur. Chacun d'eux est emporté par les événements de la vie, bousculé par les circonstances ou simplement par sa propre bêtise. Aventuriers plus ou moins volontaires, ils sont plutôt moins chanceux que la moyenne, ce qui rend souvent l'histoire bien plus amusante. Le texte est plein de violence, de quêtes et de malédictions immémoriales mais toujours avec un recul et un humour décapant.
Vous y trouverez pêle-mêle un Roi Nain à la recherche des siens, un démon et une ange déchue dont le sort est suspendu à l'échec de l'autre, des momies tyranniques, des rats confrontés à un joueur de flûte démoniaque, un auteur confronté à ses créatures, un pays volant et même des escargots.
Satire ou caricature ?
Les textes de cet ouvrage sont légers, pleins d'humour, écrits par un auteur qui ne se prend pas une seconde au sérieux – alors qu'il le pourrait car son talent est certain. Il ne faut pas lire ce livre en espérant y retrouver Conan ou visiter Melnibonée. Nous sommes plus près du Disque-Monde et de sa gouaille fantasque que de la vraie Fantasy pleine de fer, de feu et de tripes à l'air.
Il y a un jouissance certaine à voir les personnages, archétypes de l'héroic-fantasy, malmenés et transformés par la patte d'Eric Boissau. Il a l'art de savoir retourner des situations connues, contées par de nombreux grands auteurs, en absurdes parodies d'elle-mêmes. L'odyssée de Gup, apprenti magicien sans talent lancé dans une quête impossible contre les forces des morts-vivants en est un exemple : confronté à la mort elle-même, il discute et fraternise avec elle sans avoir conscience de la portée de ses actes.
C'est là toute la portée de ce que nous montre l'auteur : nous sommes formatés à reconnaître des situations, nous connaissons les actions normales des héros face à elles. Mais que se passerait-il si le héros n'agissait pas comme prévu ? Ou si la situation n'était pas celle que l'on imaginait ?
Tel est l'objet des nouvelles d'Eric Boissau : nous présenter personnages et situations selon un angle différent, inhabituel.
Le résultat, évidemment, bouscule nos certitudes et nos réflexes de lecteur. Le procédé n'est pas nouveau et des auteurs comme Terry Pratchett en usent dans chacun de leurs romans. Mais, mais, mais... Il y a une différence de taille entre la destruction consciente et systématique d'un mythe et la simple critique moqueuse du lecteur plongé dans son cocon de certitudes.
Or, contrairement à beaucoup, Boissau sait se limiter à jeter un regard amusé sur le monde de la Fantasy sans vraiment chercher à en détruire l'esprit. Il le distort, le retourne, mais au fond de son propos reste le plaisir de la saga médiévale/fantastique et de l'esprit chevaleresque. Il arrive à se moquer gentiment sans caricaturer ce à quoi il s'attaque.
Le Pouvoir des Maux est un recueil à lire pour rire avec bonheur, surtout de soi-même.