Livre
Photo de La Comédie des Ténèbres

La Comédie des Ténèbres

Aux éditions : 
Date de parution : 31/12/06  -  Livre
ISBN : 2258073154
Commenter
Aldwin   - le 31/10/2017

La Comédie des Ténèbres

On connaissait le Balzac de La Comédie Humaine, avec son projet titanesque de faire concurrence à l’état civil. L’idée qu’il caressait alors c’était d’établir « un drame à trois ou quatre mille personnages que présente une Société », la Société Française. Auteur prolifique du XIXeme siècle, il a su donner une ligne directrice à son œuvre. Il écrivait souvent avec obsession, toujours avec besoin. Mais avant que ce dessein babylonien ne naisse, rendu public en 1842, qu’en est est-il de ces vertes années, de cette jeunesse où le romantisme et le merveilleux l’emportent sur la rigueur et l’organisation ?

Omnibus nous livre ici une anthologie des textes fantastiques et mystiques que Balzac nous a laissés. La plupart sont des ouvrages de jeunesse, tous sont de stupéfiants contre-pieds à l’idée qu’on se fait, communément, de Balzac.

Un florilège de contes de fée, de nouvelles effrayantes, de fables méphistophéliques et de récits mystiques… Une attirance pour le « roman noir », qui n’est pas sans faire penser à son contemporain anglais, Edgar Allan Poe.

Balzac surprend. Il fait preuve d’une originalité presque baroque, d’un humour vif jusqu’alors insoupçonné et d’une maîtrise déjà vertigineuse de la plume.

Une brocante merveilleuse

La
Comédie des Ténèbres est à proprement parler un fabuleux fourbi, presque une brocante merveilleuse où il fait bon flâner.
Au fil des pages, Balzac révèle une forte attirance pour les contes. Des contes populaires destinés aux veillées près du feu, l’ivresse d’une tradition qu’il prend plaisir à coucher sur le papier.

Ainsi Jésus-Christ en Flandres, une légende naïve qui marie le merveilleux et la fantasmagorie. Quatorze personnages, des pauvres et des riches, des nobles, des notables, des gens du peuple (l’humanité si l’on préfère), sont réunis sur une barque afin de passer un bras de mer. L’arrivée d’un ultime compagnon de voyage polarise l’attention de toute la barque. C’est ce mystérieux passager, en qui le lecteur reconnaît peu à peu le Christ, qui sauvera des flots ceux qui ont su croire et vouloir lorsque la barque coulera.

Dans un autre registre, La Dernière Fée met en scène Abel, un jeune homme innocent élevé loin de toute civilisation. Tellement innocent qu’il croit aux fées. Une nuit, la fée des perles le réveille et l’emmène dans son royaume. Il y subtilise une lampe merveilleuse capable d’exaucer les vœux ( Ca ne vous rappelle rien ? ). Balzac nous livre là un conte social déguisé en conte de fée qui est un ravissement pour l’œil et l’oreille.

Lorsque la plume de Balzac quitte l’habit du mystique et celui de conteur, pour endosser celui du diable, l’ingéniosité et l’espièglerie s’en mêle.
Dans La Comédie du diable, Balzac emmène son lecteur en enfer où lors d’un gigantesque banquet réunissant 32 000 damnés ( parmi lesquels Adam, Cléopâtre, Socrate, Voltaire…) le Diable déclare qu’il s’ennuie : « Par le nom de Dieu ! Il faut que je m’amuse. » Un prodigieux tableau des Enfers, prétexte à une foule de jeux de mots, des dialogues absurdes et des raisonnements déments bafouant à plaisir la morale. Un Balzac diaboliquement pittoresque.
La figure du diable semble inspirer Balzac, lui offrir une liberté jouissive tant pour lui que pour le lecteur.

Le Pacte et Melmoth réconcilié reprennent tout deux le mythe du pacte satanique. Une filiation toujours séduisante, qu’elle soit littéraire avec le Faust de Goethe, ou musicale avec la légende de Robert Johnson (ce bluesman accusé d’avoir vendu son âme au diable contre un jeu de guitare extraordinaire. Cette histoire fait d’ailleurs écho au bref extrait de Gambarra, nommé Le Musicien ambassadeur de l’Enfer qui à sa place dans ce recueil.)
Dans Le Pacte, un jeune homme offre sa part de paradis contre le pouvoir de changer de corps à volonté. Il devient alors tour à tour, grand inquisiteur, homme de lettres, brigand notoire, Charles XII, berger, et finit sa longue existence dans la peau d’un orang-outan. Œuvre de jeunesse (Balzac a 23 ans ), où l’intrigue romanesque et ultra-romantique pactise avec un humour drapé. De quoi souffler sur la supposée poussière qui recouvre aujourd’hui l’œuvre de Balzac. 

Dans Le Centenaire, l’histoire fantastique d’un vieillard vampirique qui subtilise le fluide vital de ses victimes pour perpétuer sa vie, la jeunesse de Balzac est palpable. Ses aspirations romantiques dans la lignée du « roman noir », très en vogue à l’époque, font de cette longue nouvelle un petit joyau romanesque, où l’aventure et le mystère ( amoureux ou non ) sont les maîtres mots.

Ce recueil de nouvelles et de romans est bien entendu inégal, et Balzac affecte parfois un mysticisme malsain et étouffant ( Seraphita et Les Proscrits ).

Une longue et délicieuse initiation

Cet anthologie confesse le goût prononcé de Balzac pour les sciences occultes, le magnétisme, le don de seconde vue ou la télépathie… Ces inclinations mystiques n’ont pas manqué d’influencer, sous couvert, son Œuvre : La Comédie Humaine. Il n’y a qu’à voir le pacte proprement diabolique qui lie Lucien de Rubempré à Vautrin dans Splendeurs et Misères des courtisanes (qui ne figure pas dans ce recueil). Seulement là, plus besoin de mystérieuses formules et d’effrayantes manifestations. Ces restes du romantisme noir, nobles témoins des vingt ans de Balzac, disparaissent avec le temps, et la rigueur (parfois sœur d’austérité) s’impose.

Mais si ces œuvres n’ont pas l’impact et l’intérêt réaliste d’un Père Goriot ou des Illusions perdues, elles ont l’éclat du génie et l’attrait des belles lettres. L’imagination de Balzac n’était pas encore bridée et lorsqu’elle s’allie avec une des plumes les plus élégantes de la littérature française, l’alchimie est étourdissante. Cette édition joue sur deux fronts le rôle d’initiateur. C’est autant une porte d’entrée sur le fantastique qu’une volée de marches ouvrant sur l’œuvre de Balzac. C’est donc avec une joie d’enfant et des yeux d’adulte que l’on se plonge dans cet univers insoupçonné de Balzac qu’il enchante avec virtuosité et diabolise avec délectation. Un autre Balzac qui gagne à être connu.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?