Popeye : le Dictapateur
Né le 8 décembre 1894 dans l’Illinois aux Etats Unis, Elzie Crisler Segar a connu une carrière aussi courte de fulgurante. En 1919, il crée les séries The Five Fifteen et The Thimble Theatre. Dans l’une des deux apparaît un jour un drôle de personnage : Popeye le marin. D’abord figurant, il prend peu à peu de l’importance jusqu’à avoir sa propre série à son nom, assurant le succès de son auteur. E.C. Segar n’aura guère le temps d’en profiter. Il décèdera en 1938 d’une leucémie à 44 ans. Son marin lui survivra, passant dans les mains de nombreux dessinateurs...
Popeye, seul maître à bord.
Popeye, marin mal embouché et au langage passionnant, a une idée. Il veut construire une arche géante pour fonder un nouveau pays. Seul soucis, son financier est un tantinet misogyne et refuse que des femmes les accompagnent. Qu’à cela ne tienne, Popeye est bien décidé à fonder un nouveau pays dont il serait le « dicpatateur ». Commencent pour lui la construction du bateau et la sélection des candidats. Commencent aussi les ennuis et une foule de problème à résoudre.
Moderne
Cet album de Popeye est une magnifique occasion de redécouvrir le marin borgne. Un marin assez éloigné de la version édulcorée des dessins animés que nous connaissons. Première différence, un langage fleuri et une inculture crasse. Les premières bulles sont assez édifiantes : « Olive ! J’ai une idée. T’as entendu causer de l’arche de Nora ? J’vais m’en construire une et aller m’imigranter comme lui dans un nouveau pays » ou bien « T’incinère que j’connais pas mon Hiskoire ? Bien sûr que c’était pas pour s’imigranter. Il l’avait construite pour Christophe Colombo. Chris a dit aux européens : Tous ceux qui veulent aller découvrir un nouveau pays embarquent sur mon arche. Y sont parti et y z’ont débarqué à Santa Monica en Californie. Ou alors a Tampa en Floride ? Alors les indiens y z’y ont jeté des oranges mais y z’y ont pas fait peur à Chris ! ». Tout le reste est à l’avenant. Popeye est en fait bas de plafond, incapable de réfléchir plus loin que le bout de son nez. Deuxième différence, les fameux épinards sont finalement assez peu présents même si c’est une des bases de la culture du nouveau pays de Popeye (qui s’appelle quand même « Spinachova ». Enfin et surtout, ces aventures qui ont l’air simplistes sont à remettre dans le contexte. Ecris en 1935 et 1936, cet album fait échos à la situation internationale du moment. Et devenu dictateur, Popeye en rappelle d’autres beaucoup moins sympathiques. E.C. Segar a d’ailleurs la dent très dure, non seulement contre le pouvoir absolu dans les mains d’un seul homme, mais aussi contre ses contemporains. Enchaînant les gags, on lit entre les lignes une satire contre les hommes suivant aveuglément Popeye avant de se retourner contre lui pour des motifs futiles. Un propos qui prend en plus une dimension supplémentaire à quelques mois du début de la seconde guerre mondiale.
Avouons-le, en ouvrant Popeye le Dicpatateur, on s’attendait à un gentil comics un peu dépassé. On y a trouvé un héros étonnant et moderne, témoin de son époque. Indispensable !