Christian
- le 31/10/2017
Le Diabolique M. Choc
Enfin l’intégrale de Tif et Tondu ! Cela fait une dizaine d’années que les fans de la série, parue dans Spirou dès le lancement du magazine, se demandaient quand les éditions Dupuis publieraient l’intégrale. Certains numéros de la série n’ont pas été réédités depuis les années 70-80 et plusieurs numéros, même plus récents, s’achètent à prix d’or sur Internet (les numéros 38 et 39 par exemple, édités en 1989 et 1991).
Figure emblématique du Spirou des années 50 à 80, le dessinateur Will, alias Willy Maltaite, a été formé, après la guerre, par Jijé (Joseph Gillain) qui accueillait, à la même époque, Franquin et Morris (la fameuse bande des quatre). Il a apporté de nombreuses contributions graphiques au journal Spirou et a été le dessinateur de la série Isabelle, dont on attend également avec impatience l’intégrale…
Will a repris la série Tif et Tondu, à partir de 1949. Ces deux personnages, Tif, le glabre, puis, Tondu, l’hirsute, avaient été créés par Fernand Dineur en 1938 : aventuriers aux errances improbables, ils n’avaient rien à voir avec les détectives fûtés et célèbres dans le monde entier qu’ils sont devenus sous la plume de leurs différents scénaristes (dont M. Tillieux, l’auteur de Gil Jourdan).
Curieusement, L’Intégrale commence au titre 4 de la série, début de la collaboration de Rosy en tant que scénariste. Les trois premiers numéros, moins maîtrisés sur les plans graphiques et scénaristiques, paraîtront dans le tome 13 de L’Intégrale. A priori, pas de planches des années d’avant Will. Dommage. Il est vrai que les histoires de Tif et Tondu ont commencé à prendre de l’envergure et une certaine efficacité narrative avec Rosy (une douzaine d’albums). C’est lui qui a introduit le personnage du diabolique Monsieur Choc pour donner du piment à la série et davantage de relief à nos deux héros.
Cette intégrale inclura seize volumes paraissant, nous dit l’éditeur, au rythme de deux par an. Le dernier volume composé exclusivement d’inédits nous réservera sans doute de bonnes surprises… en 2014 !
Le Choc intégral
Pour ce premier tome de L’Intégrale, Dupuis nous propose la réédition des numéros 4,5 et 6 de la série, parus initialement en 1955 et 1956. Ces numéros mettent en avant Choc, ou plutôt Monsieur Choc, l’un des pires criminels de la planète. Avec ce génie du mal, on retrouve un parfum du James Bond des années 50, d’OSS 117, de Belphégore et de Fantomas. Ce mystérieux chef de gang, élégant et intelligent, dirige une société secrète « La Main blanche » qui terrorise le monde. Toujours coiffé d’un casque médiéval (pas très pratique), personne ne connaît son visage.
Dans La Main blanche, Tif et Tondu découvrent, en Asie, un certain Monsieur Choc (le casque-tête chinois), spécialisé dans le trafic de drogue. Ils doivent se rendre jusqu’en Amérique, et même jusque dans l’espace, pour suivre sa trace. Dans Le Retour de Choc, Tif et Tondu viennent à la rescousse d’une des grands industriels de la planète, menacé par l’insaisissable Choc. Dans Passez muscade, Choc, tel Fantomas ou Arsène Lupin, défie de riches collectionneurs en annonçant les vols qu’il va commettre en France et en Italie. Là encore, la course se termine aux États-Unis : Choc va disparaître dans un accident d’avion.
Rassurez-vous, Mister Choc, l’indestructible, reviendra dans d’autres volumes de L’Intégrale !
Pour les jeunes pas trop exigeants, les nostalgiques et les inconditionnels
On aime ou on n’aime pas le dessin de Will. Le trait est parfois approximatif (les mains, les visages), les personnages un peu statiques et écrasés (surtout les bedonnants Tif et Tondu), les couleurs en aplats. Mais pour ceux qui attendaient, haletants, le mardi la suite des aventures des deux compères détectives, le style du dessin, emblématique du style belge des années 50 et 60, est indissociable de la série chérie, en dépit des tentatives ultérieures de modernisation de Sikorski.
Moins doué que Franquin dans l’art du mouvement et de la caricature, Will a un style dépouillé et efficace. La patte de Jijé se fait sentir dans les ombrages à l’encre et l’épaisseur de certains contours. A noter la précision remarquable avec laquelle il dessine les machines et les engins de transport (voitures, bateaux, avions, hélicoptères). Peu d’effets de cadres et peu d’amplitude des décors : les dessins sont centrés sur les personnages. L’action est toujours privilégiée et peut se déployer sur des pages de 10 à 12 cases, dans des formats de dessin un peu serrés.
Les scénarios sont conçus spécialement pour les enfants, en respectant les codes des polars et des récits d'espionnage adultes de l’époque (ennemi public n°1, courses motorisées, voyages autour du monde). On tolérerait beaucoup moins, aujourd’hui, certaines imprécisions ou approximations scénaristiques, mais le détail des intrigues et la consistance du script sont secondaires par rapport à l’univers policier naïf, enchanteur et tintinesque : deux copains curieux, à la recherche de la vérité et solidaires dans un univers où règnent quelques méchants.
Les commentaires de l’intégrale sont fournis et bien conçus : des crayonnés, les couvertures de Spirou où apparaissent les albums, des photos de famille, des citations de Rosy, de la femme de Will. Un beau travail qu’on eût aimé moins tardif…