An 41042
Téléscopage temporel
Nous sommes en l'an 41042 (l'an 1 correspond au premier vol humain dans l'espace). L'Humanité a atteint les étoiles, dépassé la vitesse de la lumière, transcendé la gravité. Les hommes vivent plus de quatre siècles, ne dorment plus, travaillent peu et disposent de connaissances quasi-divines. Ils ont le temps de voir grandir leur nombreuse descendance et de connaître plusieurs histoires d'amour.
L'Humanité elle-même a grandi. Toutes les décisions sont sanctionnées par un vote auquel participent humains et machines. Malgré leur nombre, les humains vivent en paix, réfrénant toutes leurs pulsions violentes en les sublimant dans l'effort physique.
C'est alors qu'un vaisseau surgit du passé et fonce vers la Terre. À son bord se trouvent les descendants de valeureux pionniers partis voici trente mille ans explorer l'espace, alors inconnu. Pour eux, qui voyagent presque à la vitesse de la lumière, seuls quelques siècles se sont écoulés. Comparés au reste des hommes, ils font figure d'australopithèques.
L'arrivée du navire est catastrophique. Il est sauvé d'un plongeon dans le soleil par un homme de 41 042 nommé Ols, et par Lu, une des pilotes de l'arche. Une fois sur terre, les survivants tentent de s'intégrer. Mais le monde a changé et très vite, des difficultés d'aptation apparaissent. Certains arrivants réinventent même la notion de suicide, oubliée depuis longtemps - mais heureusement sans conséquence fatale grâce aux progrès de la science médicale.
Après le sauvetage, des liens se tissent entre Ols et Lu. Mais sur quoi peuvent reposer les relations entre un homme destiné à vivre quatre siècles et une femme qui mourra dans quelques décennies, alors que l'un dispose de connaissances presque infinies et que l'autre a des difficultés à comprendre des notions assimilées par des enfants de cinq ans ?
Un livre pour réfléchir ?
Tout d'abord, le livre paraît pédant et ennuyeux. Le style est ampoulé, lourd, sirupeux. Le texte semble sorti de la collection Harlequin, option Science-Fiction en plus. L'auteur nous assomme parfois en appuyant sur des références au XXème siècle qui n'ont que peu de choses à voir avec l'histoire. Comme si Farcasan n'arrivait pas à sortir du monde dans lequel il vit, mais seulement à l'idéaliser pour le projeter dans l'avenir - un avenir radieux et des lendemains qui chantent, on connaît...
Toutefois, si l'on continue la lecture jusqu'à la dernière page - et c'est parfois long d'attendre cet ultime chapitre - alors tout est expliqué : les références à notre temps, le style, l'histoire d'amour qui repeint tout en rose, etc. De fait, sans trop dévoiler, l'artifice est similaire à celui employé dans Rêve de Fer. Mais Spinrad, habilement, avait annoncé ses intentions dans une préface. Farcasan, lui, ne s'explique qu'en épilogue.
Mais au fait, qui est cet auteur ? La question apporte une part de réponse à l'énigme. En effet, l'auteur est né en 1924 à Bucarest. Résistant pendant la guerre, reporter et écrivain de romans et de pièces de théâtre ensuite, il a toujours été engagé. Ce qui n'était pas toujours bien vu du régime roumain. Alors en 1972, profitant d'une convention à Toronto, il passe à l'Ouest et y reste.
An 41 042 a été écrit en 1963, en pleine Guerre Froide. Pour passer la censure, le texte devait être "politiquement correct", ce qui peut expliquer le côté lénifiant et radieux de l'avenir - communautaire - présenté. Dans ce cadre, le héros Ols fait doublement figure de résistant - d'une part contre l'ordre établi de son univers, mais aussi par ricochet dans celui de l'auteur. Et la lecture devient toute autre !
En le relisant, de minuscules détails – parfois à peine esquissés – dessinent une image sombre, où ressort le carcan qui bride l'humanité. Seul l'individualisme - sublimé par l'amour - des deux héros permet à l'humanité de se relancer et de sortir d'un univers sclérosé par les lois et les règles qui emprisonnent l'esprit des hommes.
Farcasan a repris ce texte et l'a remanié en 2004. Qu'a-t-il modifié ? A-t-il clarifié, mis davantage en relief ses griefs contre le parti unique lors de ce travail tardif ? En tout cas nous nous retrouvons avec un texte étrange, à plusieurs niveaux de lecture, sorti d'un passé opaque dans lequel certains auteurs dessinaient des avenirs pleins de poésie et de liberté pour s'évader et aider les autres à en faire autant.
Pour résumer, on ne peut nier le côté poétique, ni le filigrane politique qui se cache en arrière-fond, mais malgré ces qualités, je me suis ennuyé lors de la lecture de ce roman.