Les Puissances de l'Invisible

Les Puissances de l'Invisible

Tim Powers débuta en science-fiction sous la protection de Philip K. Dick, aux côtés de James Blaylock et K. W. Jeter. Son roman Les Voies d'Anubis (paru en 1983) est considéré comme un livre fondateur du mouvement steampunk. Même si cette communauté d'auteurs américains prétend avoir lancé ce terme de steampunk comme un canular en réponse à la soudaine déferlante du cyberpunk, ce concept de réécrire le passé en laissant toute latitude à l'imaginaire du XIXème siècle a fait de nombreux émules. Toujours est-il que Les Voies d'Anubis ouvrirent à leur auteur les portes de la renommée et lui valurent un Philip K. Dick Award en guise de sésame. Il remportera une deuxième fois cette distinction pour le palais du Déviant. Les Puissances de l'Invisible a remporté le World Fantasy Award. Tim Powers, auteur facétieux à l'imagination débordante propose un éclairage très personnel sur les zones d'ombre de l'Histoire réelle. Après le Mont Ararat et les espions impliqués dans la Guerre Froide, il semblerait qu'il fouille actuellement du côté de la vallée de la mort et d'une correspondance inédite d'Einstein...

Tout à déclarer

Andrew Hale tente d'oublier le carnage qui en 1948 dans la gorge d'Ahora a coûté la vie à tous ses hommes et mis un terme tragique à l'opération DECLARE des services secrets britanniques. Mais en 1963, ses souvenirs sont réactivés en même temps que le projet. Quinze ans plus tard, que reste-t-il des anciennes alliances, les protagonistes de la précédente expédition sont-ils toujours dans le même camp ? Hale devra lever bien des mystères y compris sur sa naissance et sur ses liens avec Kim Philby et mentir habilement afin de mettre cette fois-ci toutes les chances de son côté. Y compris vis-à-vis d'Elena, une espionne russe d'origine espagnole à qui il avait déclaré sa flamme à Paris en 1941 après avoir été confronté pour la première fois à une manifestation d'une puissance invisible.

Toute ressemblance avec une personne existant ou ayant existé...

L'auteur l'explique lui-même à la fin, il s'est inspiré de la vie du plus célèbre double agent russe espion Kim Philby. En étudiant sa biographie, le témoignage de sa femme et d'autres documents, il a repéré des cadres pour son intrigue. Figurent également à la liste des personnages empruntés à la réalité Lawrence et Burgess. Avant de se lancer dans la rédaction de cette histoire, Tim Powers a compilé des documents une année durant. Et cette minutie d'informations sert parfaitement son récit, le rendant crédible et très vivant.

Un enchevêtrement subtil

Le lecteur se retrouve dans la position de Hale, Philby ou Elena, il doit se concentrer pour découvrir ce qui se trame derrière les codages, faux discours et mises en scène. Aux affrontements historiques entre les camps, aux retournements de certains agents se superposent les affres intérieurs de chacun des personnages confrontés à des événements qui les dépassent et les menacent. En entremêlant le récit de flash-back, l'auteur a compliqué l'écheveau du texte tout en fournissant au compte-gouttes des pièces du puzzle. Heureusement les différents épisodes aussi bien dans le Paris occupé que dans le Berlin au pied du mur ou encore au Moyen-Orient sont tous vivants et saisissants, décrits avec une profusion de détails qui installe des ambiances, fixant l'attention et relançant la curiosité.

S'il a composé un roman d'espionnage, il ne nie d'ailleurs pas son admiration pour John Le Carré, Tim Powers a su dépasser les canons de ce genre. Les citations de Kipling (mises en exergue de la plupart des chapitres) extraites de Kim apportent une résonance littéraire à la destinée de Kim. Tim Powers s'est même amusé à glisser un clin d'œil à un de ses propres romans : Poker d'âmes. Et les éléments occultes, distillés très parcimonieusement dans la première partie confèrent à cette histoire le caractère d'une fable mythique. Avec ce brouillage de pistes dans l'histoire et ce décalage et enrichissement du roman d'espionnage, Tim Powers livre un roman puissant, qui mystifie son lecteur, l'envoûte et viendra sans doute hanter son esprit par la suite.