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La Sorcière de Portobello

Aux éditions : 
Date de parution : 04/05/07  -  Livre
ISBN : 9782081202610
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Aymeric   - le 31/10/2017

La Sorcière de Portobello

Depuis le succès de L’Alchimiste en 1988 (1994 en France), tout le monde connaît le fameux auteur brésilien. Pour ses 60 ans, il s’offre un bilan impressionnant : son roman-phare est lu dans plus de 60 langues, et 150 pays. Il nous invite aujourd’hui à un nouveau voyage spirituel avec ce dixième ouvrage publié chez nous. La Sorcière de Portobello reprend les thèmes qui avaient fait le succès de L’Alchimiste, appliqués dans une nouvelle quête, peut-être mieux intégrée dans la modernité, et offrant plus de repères au lecteur.

Les thèmes fétiches de l’auteur

On retrouve durant tout le livre des récits et témoignages sur la vie de Sherine Khalil, et sur la quête mystique que celle-ci va mener tout au long de sa vie. Très marquée par le catholicisme, cette femme à l’inextinguible soif de spiritualité, évoluera au gré de ses rencontres, et se forgera – ou bien plutôt adoptera – une religion répondant à ses désirs, à ses talents, à ses frustrations et à ses révoltes intérieures.

On l’accompagne ainsi à travers le monde, de Beyrouth à Londres, lorsqu’elle y émigre avec sa famille pour fuir la guerre civile, et de là jusqu’à Dubaï, puis en Roumanie, et enfin à nouveau à Londres.

Insatisfaite, révoltée par l’arrogance et l’intolérance d’une Eglise qui l’excommunie, Sheril, qui se fait appeler Athena (en toute modestie), se frotte alors à d’autres cultures, en tentant de retrouver la voie spirituelle qui lui correspond, et à laquelle elle accède par l’entremise de plusieurs maîtres, dont un Bédouin, une Ecossaise, un Tsigane…etc.

On retrouve durant cette initiation les thèmes chers à Paulo Coelho, tels un ésotérisme mystique centré sur les principes religieux primitifs ou une revalorisation des principes d’harmonie avec la nature, ainsi qu’une résurgence de thèmes plus " mode ", à la Da Vinci Code : notamment l’importance du Féminin Sacré, présent tout du long.

Le problème de ces réponses aux éternels questionnements humains est que, sous couvert de réalités profondes, l’écrivain survole toute la complexité de l’âme humaine, en la limitant à un déisme bien-pensant et maniéré. Le mal n’existe peut-être pas en tant que valeur chrétienne ou mystique, mais en tant que relativisme inhérent à tout système de valeurs, et n'est qu'un signe de l’indubitable pluralité de l’esprit humain. Alors dire pendant 381 pages le monde devrait n’être qu’harmonie et amour et qu’il faut être plus open, c’est beau mais ça finit par prendre des accents de cécité, voire d'unawareness à la Van Damme.

La fin de l’ouvrage apporte un éclairage un peu différent avec l’affrontement entre mystique primitive et religion établie; mais le narrateur ne fait finalement qu’effleurer des thèmes potentiellement intéressants, comme la corruption de la spiritualité religieuse par l’institution de structures de pouvoir, à peine évoquée, puis oubliée. L’amorce d’analyse sceptique tardive d’Heron Ryan rassure un peu sur la capacité de recul de Paolo Cohelo et peut amener à penser le livre comme la simple expression d’un idéal régulateur. Mais on est tout de même déçus : Même si on croit d'abord retrouver un peu d'intérêt et de profondeur, au final rares sont les touches d’ironie ou simplement de pragmatisme que l’on décèle, même en fin du livre.

Le petit plus : un structure très agréable…

Oui, très bien trouvée même, elle donne un certain dynamisme et une autre dimension au livre. Ou elle aurait pu, du moins, sans les multiples incohérences : tout en expliquant le choix d’un type de structure qui fait par ailleurs toute la force du livre (i.e. une succession de témoignages de personnages différents) , le narrateur utilise des arguments qui m’ont mis d’emblée de mauvaise humeur. Dès les premières lignes en effet, on nous allègue que le choix de ce type de structure s'explique par une volonté d'être objectif :  en ne faisant que transcrire des entretiens, l'auteur ne prend pas le risque de déformer la réalité. Sauf que en l'occurence, comme il est écrit par la suite (c'est M. Ryan qui parle), le choix même d'un sujet pour un livre est subjectif, et doit être considéré comme tel. Alors pourquoi ne pas s'assumer dans le choix des thèmes que vous traitez, M. Coelho ?

" Alors vous n’êtes pas heureux ."

D’autant que, à grand renfort de formules péremptoires, l’auteur relaie l’attitude suffisante et aisément condescendante du prosélyte qui, sûr de lui, assène sermons et vérités sans prendre le recul nécessaire à l’acceptation de la différence, et des opinions d’autrui. Le tout en manipulant des lieux communs qui parfois donnent l’impression que Paulo Coelho transcrit des fantasmes purement européens dans d’autres cultures, sans le travail de recherche que l’on attendrait dans un ouvrage qui se veut voir plus loin que des caractéristiques superficielles. Je pense par exemple aux répétitions de la proposition " que Son Nom soit loué ", apposée sans subtilité après l’évocation d’Allah dans chacune des phrases du Bédouin, ou encore à l’expression " Pour ceux qui voyagent, le temps n’existe pas. Il n’y a que l’espace. ", attribuée aux deux intervenants Tsiganes : Tout se passe comme si Coelho utilisait un cliché culturel des communautés qu’il met en scène et exploite ce filon à outrance, considérant que l’emploi d’un type de phrase ou d’une expression idiomatique suffit pour replacer un dialogue dans un cadre culturel précis. Cela affranchirait l’auteur de la nécessaire adaptation du style oratoire à la personne qui parle. Il en résulte des récits très, trop cohérents stylistiquement, uniquement parsemés d’idiomes locaux noyés dans un dialogue purement, et prudement occidental. Ainsi Liliana par exemple, toute paysanne Tsigane illettrée qu’elle soit, parle-t-elle comme l’héroïne (formée aux meilleures écoles de Londres). Bah oui, pour répondre à des questions comme celles que pose Athéna, il faut partager les mêmes schémas de pensée, c’est plus facile…

Le tout choque d’autant plus que Paulo Coelho se permet une remarque à propos des Européens croyant tout savoir des Tsiganes roumains.

Ouf, c’est fini !

On peut voir dans La Sorcière de Portobello un hymne à la beauté de la vie, à l’harmonie, à la richesse intérieure de chacun… ou une succession de lieux communs bien-pensants, faciles et mièvres, péchant par orgueil et par manque de recherche. Moi, vous l'aurez compris, je suis pour la deuxième solution.

Les amateurs de l’Alchimiste s’y retrouveront, apprécieront les innovations stylistiques tout en retrouvant la même " philosophie " de l’auteur. Les autres détesteront tout autant ce livre que les précédents.

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