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Le Vol des faucons

Pierre-Emmanuel Dessevres ( Auteur), Yves-Noël Billy (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 15/10/07  -  Livre
ISBN : 9782914980562
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Lavadou   - le 31/10/2017

Le Vol des faucons

Journaliste en quête de sens, Pierre-Emmanuel Dessevres signe avec Le Vol des faucons son premier roman. Ce livre s’inscrit dans la collection Nos futurs des Éditions Libertaires, collectif éditorial publiant des ouvrages qui fustigent l’ultralibéralisme sauvage. Un choix qui n'est, évidemment, pas anondin.

Des Etats-Unis d’Amérique aux Etats du Monde Uni

En 2040, les Etats-Unis dévoilent une découverte incroyable : le voyage dans le temps. Devant les yeux du monde entier, ils envoient le premier chronote de l’Histoire cinquante ans dans l’avenir, afin que celui-ci vérifie l’état futur de la planète. Les hommes du présent pourront alors, sur la base de ce rapport, ajuster leur politique pour construire un monde meilleur. Damon Sundance est ainsi propulsé dans une époque fédérée, dirigée par les Etats du Monde Uni, où tous les problèmes de l’humanité semblent avoir été réglés : pollution, surpopulation, pauvreté… Le tableau est idyllique au premier regard. Mais alors que les dirigeants, qui attendaient le chronote avec impatience, veulent le renvoyer dans le présent avec en tête ce constat d’utopie, Damon commence à douter de leur honnêteté et cherche à creuser sous le vernis des apparences.

Une charge vigoureuse mais sans subtilité contre une certaine idée du monde

Depuis quelques années, l’actualité se charge de nous rappeler que la démocratie est fragile et que ceux qui s’en réclament le plus vivement sont peut-être aussi ceux qui la dévoient le plus. Cela déclenche bon nombre de réflexions et de débats, aussi bien dans les médias qu’en littérature, particulièrement en SF, terrain de prédilection de l’anticipation politique et sociale. Le Vol des faucons s’inscrit dans ce mouvement. Charge agressive contre la politique des Etats-Unis, ce roman critique une administration américaine qui assouvit sa soif immodérée de pouvoir à l’aide de manipulations en tout genre : contrôle de la presse (« Celui qui aurait souhaité en dire plus était réduit à en savoir moins »), maintien de la population dans un état d’aveuglement et d’ignorance, pressions sur les autres gouvernements… En soi, le message de l’auteur est recevable, il représente une certaine vision des choses sur la gestation d’un monde contrôlé par une élite et de moins en moins axé sur le bien-être du peuple. Dessevres prône alors une remise en cause permanente du système, seul moyen de se prémunir contre les abus de pouvoir : « Damon voulait, ni plus ni moins, remettre au goût du jour le doute comme principe absolu ».

Mais ce message est délivré avec tellement peu de subtilité qu’il perd petit à petit sa crédibilité. En premier lieu, l’auteur est incohérent avec lui-même : il dénonce un monde manichéen où les Etats-Unis s’autoproclament « bons », mais il joue le même jeu en les présentant exclusivement comme « mauvais » – au point de leur faire dire des phrases aussi stéréotypées que « Les bons sentiments sont des boulets pour nous, êtres supérieurs qui conduisons le monde », qui relèvent plus du Docteur Denfer dans Austin Powers que d’un homme politique, aussi cynique soit-il. Sa vision est unilatérale, il enfile les poncifs et les théories de complots sans jamais chercher à se remettre lui-même en cause. Lorsque Damon rencontre la résistance en 2090 et que celle-ci lui ouvre les yeux sur les mensonges des dirigeants, il se pose bien quelques questions sur la réalité de ce que les oppressés lui montrent, mais c’est juste pour la forme et il sera bien prompt à se libérer de son conditionnement patriotique. Non pas que les valeurs mises en avant par Dessevres soient contestables, bien au contraire. Mais dans sa démonstration, il biaise l’argumentation de ceux qu’il condamne en la réduisant à de simples clichés.

Par ailleurs, l’auteur tombe très régulièrement dans le travers de l’attaque personnelle. En 2040, les dirigeants portent les mêmes noms qu’aujourd’hui (Bush, Cheney, Rice), ou pire, déformés pour les ridiculiser : Rumsteack pour Rumsfeld par exemple. Même si cela participe à l’idée développée par Dessevres tout au long du roman, il ne parvient pas à s’affranchir de son ressentiment envers les hommes politiques actuels et montre un plaisir immature à cracher sur ceux qu’il méprise : « leur physique ingrat était héréditaire ». Cette hargne agace car elle réduit sa démonstration à une simple diatribe de potache. Cette impression est renforcée par le choix des noms des autres personnages : Terry Hardisson ou Marco Gofiel pour les présentateurs télé, Renée Levinsky, Monsieur Balance pour le procureur, Rosetta Bachelotte… On dépasse souvent la limite du ridicule. Dessevres tombe même parfois totalement dans le hors sujet lorsqu’il évoque par exemple directement Chirac ou Sarkozy (« un petit ministre d’état ») – dont on entendra certainement plus parler en 2040, et encore moins aux USA ! – ou lorsqu’il utilise la retraite, lors d’une bataille au Fort Decaffee (rires), de combattants américains du XIXème siècle comme métaphore du système de retraite français !

Tout ceci fait du Vol des faucons un pamphlet sans profondeur, une protestation énervée et énervante. Dommage, car l’intention est louable et fait parfois mouche : les critiques de l’auteur ne sont jamais aussi percutantes que lorsqu’il abandonne les attaques personnelles et se libère de sa colère, pour livrer quelques phrases qui sonnent juste, comme ici sur l'inhumanité de la guerre assistée par ordinateur : « Entre lui et sa vision numérique, lisse, presque ludique, et la triste et sale réalité, toute l’électronique et l’informatique de ces armements si précis l’avaient protégé des risques du syndrome des guerriers : il n’avait jamais vu en direct, dans un viseur infrarouge, s’effondrer la chaleur d’une forme humaine ».

Un style d’une lourdeur rédhibitoire

Le style de Dessevres n’aide pas à faire passer la pilule.On sent que l’auteur maîtrise la langue et est à l’aise avec les mots. Mais il use et abuse du bon mot au détriment de l’efficacité. Ses expressions sont trop sophistiquées, surchargées par des répétitions de sonorités. Prises une à une, elles peuvent susciter l’admiration – on ne peut pas nier le travail de l’auteur – mais elles s’enchaînent de façon tellement systématique que cela en devient vite lassant : « Celui-ci décida de remonter à la source et emprunta l’allée de la propriété d’où provenait le furtif engin fautif, dont on pouvait penser qu’il avait eu une attitude de fugitif » ; « Le meilleur ami de cet homme célibataire n’avait rien de canin : un foisonnement de canaux ! » ; « (…) les remous de cette claire rivalité sans trêve et de cette sombre réalité sans rêve » ; « (…) ces remaniements spatiaux très spéciaux »… Tout cela est certes bien trouvé mais ne présente au final pas grand intérêt, et, associé à l'accumulation excessive d'adjectifs souvent redondants, alourdit fortement la lecture.

Un scénario trop mince

Quelle que soit la valeur que l’on accorde aux idées de l’auteur et à sa démonstration (après tout, malgré la lourdeur du procédé, certains pourraient y trouver leur compte), Le Vol des faucons est de nouveau la preuve qu’une bonne idée ne fait pas forcément un bon roman. En fait, cette histoire aurait sans doute beaucoup mieux fonctionné sous la forme d’une nouvelle. Ici, l’intrigue n’est pas suffisamment étoffée pour tenir le lecteur en haleine pendant deux cents pages. L’argument SF (le voyage dans le temps) n’est utilisé que pour confirmer les craintes de l’auteur quant à l’évolution du monde, et le scénario se résume à d’interminables discussions idéologiques et à une course-poursuite finale sans grand enjeu. Pourtant, le contexte de ce monde de 2090 est assez crédible au niveau des anticipations sociales et technologiques. La partie sur la désertification de l’Afrique et sa transformation en poubelle de l’humanité est la plus réussie du livre. Mais Dessevres ne développe pas assez cet environnement, ne dévoilant que ce qui sert son raisonnement – et le plus souvent à l’aide d’artifices éculés comme la bonne vieille émission télé. Par ailleurs, la fin est plombée par un romantisme assez primaire et très masculin – le héros ayant trouvé sa belle (réduite à cette simple fonction), il fera tout pour imposer ses convictions.

On notera aussi quelques incohérences ou attitudes peu crédibles. Par exemple, il paraît aberrant que les Etats-Unis dévoilent au monde l’invention du voyage dans le temps sans l’avoir testée avant – d’ailleurs, l’auteur ne se pose aucune question quant à un éventuel paradoxe temporel… On est aussi assez surpris de la facilité avec laquelle Damon se soustrait à son conditionnement patriotique, dont on ne cesse de nous rabâcher l’institutionnalisation et l’efficacité. Ou bien de l’insouciance naïve, hollywoodienne, du couple de héros à la fin du récit. Enfin, tous les personnages sont traités de la même façon : s’ils sont « méchants », ils sont obtus, arrogants et cyniques. S’ils sont « bons », ils sont généreux, sincères, et ont surtout un bagout qui les fait sortir grandis de leurs joutes oratoires.

Un livre vain

Au final, Le Vol des faucons manque son but. La portée de son message contre l’ultralibéralisme est fortement réduite par une attitude vindicative immodérée qui place le roman au niveau du simple pamphlet. Ce n’est pas forcément inutile en soi (il est important de garder les yeux ouverts sur les dérives possibles et probables de notre société), mais Dessevres le fait avec des sabots tellement énormes que ses idées perdent leur crédibilité. De plus, sa démarche est finalement assez vaine : si le seul moyen d’améliorer l’état du monde est de modifier le passé en neutralisant ceux qui accaparent le pouvoir, c’est que l’on avoue son impuissance à proposer de meilleures solutions…

Si le lecteur est intéressé par ce type de discours, on l’aiguillera  plutôt, par exemple, vers La Saison de la sorcière de Roland C. Wagner, beaucoup plus subtil.
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