Freakshow!
C’est par le même personnage que Xavier Mauméjean clôt la saison 1 du CVH avec lequel Guillaume Lebeau l’avait ouverte. Collection débridée et nerveuse, leur Club Van Helsing aura réuni quelques uns des grands noms actuels de l’imaginaire français, pour une pluralité de styles, de tons et d’univers. Avec Freakshow !, Mauméjean, auteur talentueux et atypique de la Vénus anatomique et de Ganesha - Mémoires de l’Homme éléphant, réunit pour cet épisode-bilan nombre des personnages des opus précédents et nous propose un virage radical dans la série, avec en première ligne, le boss lui-même.
Le chasseur dans Freakshow ! ressemblerait plus à la proie, nous annonce le quatrième de couverture. L’histoire s’ouvre en effet sur un très beau moment d’action : une attaque sur l’inviolable QG de l'organisation. En résulte de nombreuses pertes et un Hugo traqué, ruiné, désarçonné, en fuite et en quête de vengeance. Son ennemi se trouve être Phineas Taylor Barnum, personnalité réelle du XIXème siècle exhumée par Mauméjean. Le fameux entrepreneur de spectacles américain est devenu immortel pour l’occasion, et s’avère être le parfait double négatif de Hugo. Freakshow ! raconte ce duel sur mesure de deux êtres exceptionnels aux extrêmes opposés : l’un chérit les monstres, l’autre les éradique. Archétype des comics où le héros et le vilain sont des contraires parfaits.
Il était une fois au Freakshow…
La structure de l’histoire est simple et efficace : c’est celle d'une vengeance. Après le coup d’éclat du préambule, Van Helsing fera tout pour trouver et éliminer Barnum. Et comme de juste, son périple nous mènera inéluctablement à l’affrontement final. Au fil des chapitres, les intitulés abandonneront leurs chiffres pour des noms de cartes, évoquant une partie de poker. La tension ainsi créée constitue une excellente accroche. Ce genre de construction permet au récit d’être clair et solide. Les deux piliers de cette charpente étant les deux combats qui encadrent l’histoire. Ils reflètent également un thème cher à ce roman : le jeu du miroir, de l’image inversée. Phineas et Hugo, le chasseur traqué et la proie prédatrice, chasse justifiée ou carnage gratuit, leurs motivations aux antipodes l'une de l'autre, centrées toutes deux sur les monstres, le Bien et le Mal, floutés aux confins de leurs frontières communes. Ainsi ouvre-t-on dans le manoir d’Hugo pour fermer dans la ville des monstres érigée par Phineas Taylor Barnum. Les deux repères. Cette symétrie presque parfaite entre la situation initiale et finale est bancale car elle repose sur le reflet déformé. Toute la quête d’Hugo sera de passer de l’un à l’autre, de l’autre côté du miroir. Ce qui le transformera. Les actions subiront de la même façon cette transformation car là où Phineas fera faire attaquer le QG sans crier gare par une horde de créatures, Hugo, lui, ira en personne, presque seul, et se retrouvera une nouvelle fois dans la peau de la proie, de celui qui se jette dans la gueule du loup, plutôt que de l’agresseur qui frappe à la gorge son ennemi.
Pulp moderne
Cette intrigue simple permet à Mauméjean de mettre au cœur du récit une théorie d’événements hétéroclites et délirants. On y retrouve réunis une nouvelle fois après Léviatown, les personnages des précédentes chasses, éparpillés aux quatre coins du monde. On y vit des péripéties plus pulpiennes les unes que les autres, et ceci au travers de rencontres avec une galerie de personnages hauts en couleurs. Xavier Mauméjean agrémente ses chapitres d’une myriade de digressions, de réflexions tantôt badines, tantôt plus profondes. Son écriture touche-à-tout aborde une variété de thèmes avec simplicité et intelligence et on appréciera au passage l'abondante documentation, notamment sur l’univers des freaks, à mettre en relation avec ses travaux poussés sur Elephant Man. Malgré l’exercice de série B assumée, cette richesse inscrit subtilement l’activité du Club dans la réalité du monde contemporain.
Une fin de saison, comme à la télé
Cet épisode de clôture est dans un ton plus crépusculaire que les autres. Le vague à l’âme d’Hugo Van Helsing est omniprésent. L’intro est très sanglante, beaucoup de héros des précédents opus y laissent la vie ; et les interactions entre tous les survivants jettent une lumière nouvelle sur le caractère du boss. Comme déjà évoqué par Catherine Dufour dans Délires d’Orphée, on sent qu'il n'est pas si apprécié et il apparaît comme froid et inhumain. Au regard de Cold Gotha, pilote de la série, le contraste de ton est encore plus frappant. Dans le premier numéro, Hugo Van Helsing était calme et confiant, surarmé, quasi invulnérable ; dans Freakshow !, Phineas Barnum parvient à geler ses comptes, chose impensable pour le lecteur qui pensait cette organisation plus forte et mystérieuse que la ligue des gentlemen extraordinaires et la NSA réunies. Mieux même, il semble toujours avoir une longueur d’avance. Notre chasseur de monstres apparaît extrêmement vulnérable. On a peur pour Hugo Van Helsing et on restera forcément accroché jusqu’au dénouement. Cette fois, l’ennemi semble non seulement puissant matériellement, mais carrément prêt à démolir émotionellement notre héros. Cette crainte rend l’issue de Freakshow ! incertaine et le lecteur ne sera pas déçu, car bien que surprenante, la fin ne repose pas sur un retournement de situation facile. Au contraire, les rouages psychologiques sont très fins et très justes. Les thèmes survolés à travers les péripéties diverses nous ayant prédisposés à l’atmosphère finale.
La tournure décisive que prend le CVH au terme de sa première saison nous ouvre l’appétit pour la seconde, tant on a du mal à en imaginer les conséquences. Freakshow ! clôt magistralement le premier mouvement de la collection, servi par une plume exigeante, à la recherche constante d’originalité, d’idées et d’angles de narration novateur. On sent une réelle volonté de donner ses lettres de noblesse à ce sous-genre.
Notons que cet opus prend toute son ampleur avec la connaissance des précédents épisodes qui eux s'auto-suffisent intégralement. Sans quoi la profondeur des personnages peut échapper au lecteur. Ceci fait, Freakshow !, de par sa densité et sa réflexion, est certes une habile conclusion totalisante mais aussi un bon socle à l'ensemble du Club Van Hesling.