David Petersen est né en 1977 dans le Michigan. Dans la digne lignée de l’imaginaire animalier et à l’image du gigantissime
Garennes de Watershipdown (Richard Adams) et du non-moins fameux
Vent dans les Saules (Michel Plessix), David Petersen avec
Automne 1152 nous ouvre les portes secrètes du monde des souris. Mais ne vous y fiez pas et ouvrez grands vos rêves…
L’aventure façon souris Les six chapitres composant cette édition ont initialement été publiés indépendamment en version brochée aux Etat-Unis. D’inspiration largement moyenâgeuse, le ton de l’album est à des années-lumière des stéréotypes des
comics américains. Avec un accent très « british » (les villes souris se nomment Lockhaven, Barkstone…), Petersen est un ovni de la culture BD américaine.
D’Algernon (
Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes) à Mister Jingle (
La Ligne verte de Stephen King), les souris sont les confidents discrets et imaginaires des hommes. Elles ont aujourd’hui leur univers et leur place dans la fantasy. Ce n’est que justice…
Depuis toujours, les souris protègent leurs villes du monde extérieur grâce à la Garde, sorte de société guerrière qui sécurise le périmètre des Territoires et veille sur les routes et chemins. Bâtie sur les plus héroïques légendes, la renommée de la Garde n’est plus à faire. Pourtant, en cet année 1152, victorieuse des Guerres d’Hiver contre le Furet, la Garde va devoir faire face à la plus grande trahison que les souris aient jamais connue. Trois de ses gardes, Lieam, Kenzie et Saxon vont entrer à leur tour dans les Légendes de la Garde…
Ne pas en louper une miette ! D’emblée, l’album séduit. Couverture cartonnée épaisse et de belle facture, dessin attractif et chaleureux, demi-format, on a du mal à résister à
Automne 1152.
A la lecture, les dialogues sont d’une fluidité remarquable et incisifs. Une économie qui fait la part belle à l’image sans jamais contrarier le déroulement de l’histoire. Certaines scènes de transition sont traitées sans bulles ni narration
off. Il se dégage alors une agréable poésie de ces successions de cases muettes où l’attitude des souris et le cadrage assurent à eux seuls la compréhension de la scène. Une très belle performance et un régal pour l’imagination.
A l’image de la couverture, les planches sont un ravissement pour les yeux. Même si les détails ne sont pas des plus fouillés et si les graphismes inspirent un déjà-vu flagrant (le pointillisme et les croisillons… un héritage de la formation à la gravure de Petersen), les cases sont grandes et homogènes. Parfois si grandes et vierges de bulles que l’on se prend à tourner un peu vite les pages au rythme effréné de l’action. Mais passer trop vite serait manquer le dessin savoureux de l’auteur.
Les contours sont discrets et savamment dosés, et desservent efficacement des couleurs à la fois profondes (l’orangé des feuilles d’automne) et équilibrées, d’un large spectre et d’une expressivité remarquable. Grâce à des effets de profondeur et de matière très réussis, les sous-bois sont parfois rassurants, parfois oppressants et la pluie vous mouille le bout des doigts. Les textures sont fouillées (le poil des fourrures agréablement ébouriffé) et la mise en place des couleurs cohérente avec les effets de lumières et les perspectives.
Bref, ce tome dépeint des ambiances époustouflantes et oniriques.
Les petits rongeurs sont gratifiés d’une esthétique remarquable. On est loin du petit museau frémissant ou des rondeurs caricaturales de la plus célèbre des souris outre-atlantique. David Petersen leur dessine de grandes oreilles (inévitable !) effilées et un regard perçant. Ces souris-là sont des guerrières ! Même si leurs attitudes et les expressions de leurs visages manquent de diversité, la cohérence entre la gestuelle et le dialogue est aboutie. Et Petersen a su préserver ses souris d’un trop grand anthropomorphisme : louable ! Pas de pommette ou de menton, pas de doigts aux pattes mais trois petites griffes. On y croit avec jubilation.
On regrettera seulement un léger statisme, notamment dans les scènes de bataille parfois peu dynamiques.
Une très grande richesse graphique, donc, pour cet album particulièrement bien maîtrisé.
Quand le chat n’est pas là… Restent les souris. Plutôt cette charmante société de souris, dont on n’apprend malheureusement peu de choses, finalement. C’est peut-être là le petit écueil de cet album : le scénario un peu léger ne s’appesantit pas sur les détails.
Si peu d’ailleurs que l’histoire passe un peu vite sur le monde de ces souris et sur l’intrigue de la Garde. Si la simplicité du scénario est un redoutable atout pour la fluidité de l’album, on aurait aimé connaître les stratagèmes des souris pour se cacher si bien du monde extérieur. Ou encore en connaître davantage sur ces légendes qui ont fait la renommée de la Garde : ses héros, les grands moments de son histoire. Pas d’anecdotes ni d’expressions propres au regard des souris sur le monde, non plus, histoire d’y croire un peu plus…
De la même façon, les personnages secondaires sont… très secondaires ! En effet, les trois principaux personnages (euh, souris…) Lieam, Kenzie et Saxon, éclipsent les autres qui apparaissent sporadiquement malgré leur importance (Gwendolin, la matriarche, par exemple).
Enfin, on sait peu de choses sur nos trois souris-soldats dont la personnalité est peu abordée. Un grand regret car on a du mal à s’y attacher et à s’y identifier (en même temps, ce sont des souris…). Toutefois, et c’est un des charmes de l’album, Petersen introduit chaque chapitre par un résumé de l’épisode précédent appuyé par un court extrait des textes légendaires de la Garde.
A noter que les éditions américaines de
Mouse Guard regorgent de détails et croquis (art-books) sur les personnages et la géographie des Territoires. Un petit tour sur le
site officiel de l'auteur devrait d'ailleurs ravir les fans !
Un régal ! Louée soit la Garde ! Il existe peu d’albums que l’on se prend à ouvrir juste pour le plaisir des yeux et de l’imagination.
Automne 1152 en fait partie. Petersen nous invite à rêver et à plonger nos yeux d’enfants dans ce conte envoûtant. Il va falloir user de patience pour attendre la traduction du tome deux (
Winter 1152) dont les premiers chapitres sont déjà parus aux US et le tome trois à paraître (
Black Axe 1099-1116).
Alors la prochaine fois que vous prendrez le chemin des bois, baissez un peu les yeux… Un peu plus encore… Et regardez de plus près au pied de cet arbre, là, sous cette racine. Mais pas trop près : un Gardien veille, prêt à vous pourfendre !