Sukran

Andrevon ? Un artiste qui sait tout faire, et, ma foi, plutôt bien ! SF (romans et nouvelles), policier, littérature jeunesse, peinture, musique... Voilà quarante ans qu'il sévit dans les mondes imaginaires, infatigable, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.
Publié initialement chez Denoël, Sukran est un thriller futuriste, qui a remporté en 1990 le Grand Prix de la science-fiction française, ancien nom du Grand Prix de l'Imaginaire.

Marseille. France. Quelque part dans le futur.

Roland Cacciari joue du guitarion sur les terrasses des rapid-food dans l'espoir de récolter les quelques pétros qui lui permettront de manger et, peut-être de dormir au sec. C'est tout ce qui reste à ce démobilisé de la croisade ratée contre le moyen-orient. Ça, son physique qui semble plaire aux femmes riches, son humour et son aisance au maniement des armes. C'est cette dernière qualité qui lui vaudra d'être engagé comme vigile chez Nord-Sud et d'être rapidement propulsé Chef de la sécurité. L'entreprise, réputée pour ses produits de haute technologie, mène, dans ses sous-sols, d'autres activités moins avouables, qui vont exiger de Roland une prise de position éthique.

Les poncifs du policier

Le héros de Sukran n'aurait pas dépareillé dans un roman policier de facture classique. Avec son nez cassé, son aura d'ancien soldat et son air de Marlon Brando, il a le charme de ces privés virils qui plaisent tant aux belles femmes (sur le papier en tous cas).
Il arpente des lieux crasseux, comme le quartier « Pieds-dans-l'eau » cosmopolite et effervescent, où s'ébattent les petits truands, les prostituées, leurs macs et leurs clients.
Roland se retrouve, quoi qu'il fasse, cerné par les ennuis et reçoit de temps en temps un bon coup sur la tête. À l'occasion, s'engagent même, entre le héros et ses ennemis, des poursuites formidables comme on n'en voit qu'au cinéma.

Un futur vieux de vingt ans, et pas une ride !

Mais il s'agit bel et bien d'un roman de science-fiction.
La technique, omniprésente, est au cœur du crime et des mystères qui l'entourent. C'est encore elle qui va produire le méchant de cauchemar que va affronter Roland, au plus fort de l'action.
Plus qu'un roman sur la technique et les progrès scientifiques, Sukran est surtout une « projection historique », une anticipation de l'échiquier géopolitique mondial, qui, vingt ans après, reste étonnamment juste.

Légèreté et gravité : un cocktail qui dérange

Sukran, dont on ne trouve guère plus qu'en occasion l'édition originale, est une œuvre troublante.
Le récit de Roland, à la première personne, est présenté comme anecdotique. Ce n'est qu'une de ses aventures, entre le moment où il a cassé son guitarion et celui où il devra certainement le reprendre.
Pourtant, ce qu'il découvre, c'est l'horreur sans nuance, le pire dont est capable l'homme assoiffé de pouvoir et d'argent.
Au delà de l'aventure qui laisse un peu d'espoir à son héros, ce qui glace et qui dérange, est lié à la date de création de l'œuvre. On doute.  N'a-t-on pas reconnu, çà et là, des personnages typiques de notre actualité ? Se peut-il qu'avant 1990 le paysage dit « d'après 11 septembre » soit déjà envisageable ? Les références à Ben Laden sont-elles rajoutées pour cette édition ? Les problèmes liés à l'immigration sont-ils si anciens ? Le thème du réchauffement climatique est-il déjà si vieux ? Mêmes interrogations quant à l'illisibilité des courants politiques...
De ce point de vue, Andrevon fait peur. Car si ce qu'il écrit devait réellement arriver, nous n'aurions rien de mieux à espérer que quelques survies individuelles et singulières dans un destin collectif condamné au désespoir.