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La Mécanique du monde

Aux éditions : 
Date de parution : 28/02/08  -  Livre
ISBN : 9782283023150
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Lavadou   - le 31/10/2017

La Mécanique du monde

Bernard Foglino est un auteur français né en 1958. Il a fait des études de droit et travaille aujourd’hui dans la finance. Son premier roman, Le Théâtre des rêves, est paru chez Buchet/Chastel en 2006 et est réédité cette année chez 10/18. La Mécanique du monde est son second roman.

Le roi des photocopieurs

Nicolas Angstrom est réparateur de photocopieurs. Passionné par la mécanique, il a coutume de dire qu’il est le meilleur dans son domaine, entretenant une relation quasiment fusionnelle avec les machines dont il s’occupe et qu’il considère comme des être vivants. Sa vie est simple et réglée comme du papier à musique. Un jour pourtant, son talent lui fait défaut. C’est le début d’une spirale descendante pour Nicolas qui se fait renvoyer. Il rencontre alors Gabriel, clochard intriguant qui lui confie des petits boulots en apparence sans signification. Mais les apparences sont trompeuses. D’autant plus que Nicolas est lui-même le fruit d’un passé obscur.

Démontage d’un mécanisme social

Autant le dire tout de suite : La Mécanique du monde est un roman de littérature générale. Le titre fait pourtant penser à La Grande machine de Fritz Leiber, dans lequel la réalité est au sens propre un mécanisme dont les hommes sont concrètement les rouages. Bernard Foglino reste au niveau de la métaphore avec pour objectif de mettre au jour certains mécanismes sociaux qui régissent le monde, plus ou moins conscients et plus ou moins maîtrisés.

Cette métaphore est alimentée par un lexique thématique autour de la mécanique et de la roue (la figure récurrente du manège par exemple). Foglino pousse ainsi le lecteur à adopter le point de vue subjectif du narrateur, qui calque sur le monde réel sa propre conception des choses : hommes mécanisés ou minéralisés (« Moi-même, j’étais un bloc de pierre dans une carrière éteinte ») et machines humanisées (d’après Nicolas, les photocopieurs « rêvent » des documents qu’ils gardent en mémoire), mélange des perceptions qui brouille les repères établis. La première interprétation de cette métaphore est évidente et explicite : l’auteur stigmatise la déshumanisation de notre société, notamment à travers la mondialisation et la course à la consommation qui poussent les hommes à perdre leur autonomie et leur esprit critique. Les fusions/acquisitions effrénées des entreprises (dans le roman, Nonex rachète Xenon pour former Nexon) sont le symptôme d’un monde du travail atteint de folie et qui se mord la queue. Plus généralement, cette fuite en avant matérialiste anéantit le rêve et donc, la capacité des hommes à inventer et à se renouveler : « Mais l’imaginaire a foutu le camp, la féerie et le merveilleux se sont dissous dans l’espace ».

Mais c’est un autre travers de notre société qui semble préoccuper le plus Foglino : l’hypocrisie ordinaire et les postures faussement affectés des hommes politiques devant les drames quotidiens. Tout le monde a déjà vu un président regretter avec « la plus vive émotion » une catastrophe ou condamner « avec une profonde indignation » un attentat. Mais derrière les mots sans cesse répétés et ce spectacle médiatique bien rodé, qu’il concerne la dernière guerre ou les SDF, que reste-t-il ? Ces paroles ne sont là que pour flatter notre fibre altruiste, pour nous prouver que nous sommes encore capables d’exprimer de la compassion. Mais ce n’est que manipulation. Une manipulation à laquelle on se soumet avec soulagement, car elle nous permet d’alléger notre conscience. L’auteur démonte ce mécanisme avec habileté, petit à petit, en faisant de Nicolas un rouage de cette supercherie : « Je suis devenu un vecteur de bonté, un objet caritatif ». Il nous exhorte à nous remettre en question, à prendre conscience de nos actes et regagner notre libre arbitre, sans nous laisser guider par les feux trompeurs des politiques ou des médias.

Rapports à l’autre, rapports à soi et identité

Cette prise de conscience bute sur deux obstacles : les rapports que l’on entretient avec les autres, et avec soi-même. Nicolas Angstrom est plutôt solitaire et ne se pose pas trop de questions sur la communication avec ses pairs : « J’entretiens des relations de bon voisinage avec l’Humanité. Voisinage un peu distant qui nous convient bien à tous les deux, je crois ». Mais lorsqu’il se trouve confronté à l’autre, il doit se rendre à l’évidence : on ne peut pas s’affranchir du regard des autres, et pire, ce regard nous redéfinit en permanence : « Nous sommes tellement nombreux que personne ne sait plus qui il est à force d’être inventé par les autres », lui dit un chauffeur de taxi. Dès lors, la perception de notre propre identité est noyée par l’image qui nous est renvoyée par le miroir social.

Mais ce reflet est aussi le déclencheur d’un autre processus chez Nicolas. Celui de la redécouverte de soi. Son passé trouble va petit à petit le rattraper et il va enfin comprendre qui il est. Ce thème du poids du passé est l’un des principaux du roman, rappelant fortement le Francis Berthelot de L’Ombre d’un soldat ou du Jongleur interrompu. La Mécanique du monde est d’ailleurs truffé de symboles ayant un rapport avec la mémoire. Par exemple, Angstrom efface certains mots du dictionnaire, des mots liés à son passé. Mais au final tous les mots reviennent d’une manière ou d’une autre, comme la mémoire endormie qui refait surface un jour ou l’autre. Et comme toute mémoire, elle repose en partie sur les morts ou les disparus, parfaits symboles de ce qui a été et qui n’est plus. La vie d’Angstrom est jonchée de morts, et sa passion pour la construction mécanique (tel un Frankenstein des temps modernes, il a reconstitué chez lui un photocopieur à partir de pièces détachées) est le signe d’un désir à moitié conscient de les faire renaître, de réveiller sa mémoire et retrouver son identité. C’est ce processus qui, finalement, est au cœur du roman, et l’auteur le déroule avec finesse et subtilité, en prenant son temps mais sans jamais rompre le rythme de son récit.

Un style délicieux

Un récit qui bénéficie d’un style proprement délicieux. C’est simple, La Mécanique du monde est une suite ininterrompue de phrases aussi belles les unes que les autres. Bernard Foglino fait de la poésie avec les plus petits détails du quotidien, avec une économie de moyens et une efficacité remarquables : « Les gens ont toujours cet air, le dimanche soir, renfrogné et absent, on leur a volé quelque chose, mais ils ne savent pas quoi. Je les plains un peu, les gens, avec ce fantôme de dimanche qui s’effiloche entre leurs doigts » ; « Dans son costume gris aux reflets métalliques, il semblait surexposé, trop net pour ce dimanche d’octobre qui irisait les façades d’une lumière crémeuse. J’ai pensé à un collage d’enfant, avec des images d’animaux, de clowns et de moulins tournoyant sur du carton à dessin ». Ses descriptions font appel à des images originales, des images qu’il répète au fil des pages comme pour symboliser ce cycle mécanique dans lequel s’imagine Angstrom, ou bien à la manière du processus mémoriel qui convoque les mêmes souvenirs indéfiniment jusqu’à ce qu’ils dévoilent tout leur sens.

L’ensemble du roman est ainsi emprunt d’une sensibilité touchante, qui n’est pas sans rappeler Le Petit Prince de Saint-Exupéry, que Foglino cite d’ailleurs explicitement. Toutefois, sur la fin, alors que Nicolas se sent de plus en plus hors du monde, le langage se transforme légèrement, devenant plus sombre, plus amer : « Fragile et diaphane, le manège vide égrenait sa musique au vent aigre » ; « J’étais comme une lettre perdue, qui volette et rebondit, papillon blanc livré aux caprices du vent, avant de finir écrasé sous une semelle chargée de bout et d’indifférence ». Ce ton moins naïf, plus désabusé, marque l’évolution psychologique de Nicolas, qui a tout simplement fini de grandir.

Un très beau roman

La Mécanique du monde est donc un très beau roman, qui traite avec sensibilité de la mémoire, de la mort et de l’identité, tout en fustigeant les dérives d’une société frénétique et hypocrite qui asservit les hommes, devenus de simples rouages mécaniques. Le style de Foglino, accompagnant l’évolution de son personnage, est simplement magnifique et procure un vrai plaisir de lecture. Ce livre n’est certes pas à proprement parler à classer dans les littératures de l’imaginaire, mais il serait dommage de se priver d’un si beau texte pour une simple question d’étiquette.

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