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L'Héritier des âmes

Aux éditions : 
Date de parution : 01/03/08  -  BD
ISBN : 9782302001008
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Christian   - le 31/10/2017

L'Héritier des âmes

Le premier cycle de Kookaburra s'achevait dans le cinquième album par la rencontre des cinq enfants de la prophétie et la lutte entre le lézard géant Gwana et l'oiseau Kookaburra pour la renaissance du créateur du monde. Les cinq enfants connus, la prophétie réalisée, la transformation du chevalier sorcier, l'intrigue essentielle de la série semblait résolue en une triple page titanesque (trois pages dépliables en fin d'album représentant une même scène finale). On avait donc peine à imaginer une suite, pourtant annoncée en troisième de couverture. Et ce d'autant plus que l'univers entier était anéanti et le héros, Dragan Preko, disparaissait donc logiquement en compagnie de son ex-copine et son amazone préférée. Ainsi que Crisse, le créateur de l'univers Kookaburra, dessinateur, puis scénariste seulement de la série d'origine, parti sur d'autres projets (Luuna, Thalulaa,...).

Mais c'était sans compter avec le succès de Kookaburra et la reprise du scénario en solo par Mitric, le dessinateur des deux derniers titres. Dragan, le sniper télépathe, rendu immortel par la boule noire lovée dans l'orbite de son œil gauche, voit donc ses aventures se poursuivre dans un autre univers, où il a pratiquement tout oublié de son passé. Ce changement de monde donne à Mitric la liberté de planter un décor totalement nouveau et de changer totalement de perspective. Un nouveau cycle donc, qui coïncide avec un nouveau cycle universel, mais dont l'intrigue principale est de renouer, à travers Dragan et les cinq enfants de la prophétie, avec le passé.

À la recherche du temps effacé

En pleine bataille épique entre Kookaburra et Gwana pour la destruction du monde, Dragan est pris dans la tourmente avec l'amazone Taman Kha et Raïsha. La mère de Brian, l'un des cinq enfants de la prophétie, s'est jetée dans l'ouragan du feu céleste. Ce n'était qu'un cauchemar. Dragan se réveille dans le lit de deux charmantes compagnes. Il se souvient d'un vaisseau et commence à faire le lien entre les bribes de son passé.

Deux jeunes frères mi-humains, mi-félins, Loyeen et Sayeen, s'apprêtent à vivre le rite de passage du fanum, où leur vie va être bouleversée à jamais. Leur premier rendez-vous mystique avec les dieux Thankorat et Thanikara ne va pas se passer comme prévu. En trouvant une drupe blanche, Sayeen devient un élu. Mais il se révoltera contre ce que la coutume l'oblige à faire et cherchera en des lieux interdits les coupables qui imposent leur loi : les daemonarques. Les deux frères seront châtiés pour leur témérité. Loyeen sera banni, mais il découvrira ce qu'il y a au-delà de sa planète et la véritable nature des dieux que son peuple vénère.

Une fausse suite

La solide trame qui soutenait le scénario des cinq premiers albums avec la convergence des cinq enfants de la prophétie s'est effilochée. Avec ce nouveau cycle, le dépaysement est complet. Nous sommes dans un autre monde et les liens avec l'univers précédent sont ténus : le héros, Dragan, transformé, et l'un des cinq enfants de la prophétie, que les esprits de ses quatre frères de destin appelleront à l'aide. Dragan a perdu de son mordant et de son ironie dévastatrice. Il faut dire que son amnésie ne l'a pas arrangé et que Skull, massacré dans le tome précédent, n'est plus là pour lui donner la réplique. Le célibataire endurci, toujours sur le qui-vive, est désormais entouré de femmes et doit s'entraîner dur dans des environnements virtuels pour retrouver sa forme.

Quant à Loyeen, dont l'impératrice de mère, dévorée d'ambition, voulait utiliser son fils pour manipuler les cinq enfants et dominer le monde, il n'a pas seulement changé, son esprit s'est incarné dans un demi-animal sur une planète prison. Dans ce premier exercice en solitaire pour Mitric, on peut donc faire abstraction du cycle précédent, même si l'ultime objectif des deux héros paraît bien de renouer avec leur passé dans l'ancien monde. Leurs histoires sont traitées parallèlement, on s'éloigne de la mécanique complexe du scénario de Crisse qui gérait simultanément trois à quatre situations convergentes, quand les cinq enfants étaient séparés. À l'image des cartes du monde en deuxième et troisième de couverture, le cadre historique est devenu beaucoup moins clair : avant, nous avions une mappemonde spatiale qui séparait distinctement les secteurs terriens, dakoïdes et amazones et égrenait clairement les planètes principales du récit. Désormais, nous avons la belle image d'un univers déformé par une singularité gravitationnelle, plus esthétique qu'informative.

À plusieurs égards, les images paraissent plus fortes que le scénario. Du chaos rougeoyant de la fin du monde aux tonalités mauves du fanum, aux contreplongées dans les falaises bleues ou aux astres et phénomènes célestes, les illuminations colossales de couleur font office de repères visuels pour un scénario qui n'est pas inexistant, mais qui est difficile à saisir. Dragan et Loyeen fuient leur monde, mais à la recherche de quoi ? Ce n'est pas très clair, surtout pour ceux qui n'auraient pas lu les cinq premiers tomes. Comme si le scénario avait été dicté par les images, des  tableaux clés forts, mais peu éloquents.

Ce qui déroute le plus dans ce nouveau cycle, c'est sans doute le fait de basculer, pour l'essentiel des pages (car Dragan est finalement peu présent) dans un monde non-humain, où les airs de peluche des protagonistes donnent l'impression de descendre d'un cran dans l'âge des lecteurs. Les manipulations savantes des différents empires qui faisaient du scénario précédent un puzzle intelligent laissent place désormais à un scénario guidé par une quête personnelle confuse des deux héros. L'atmosphère est plus étrange, en raison de l'exotisme des apparences et des coutumes. Le scénario insiste davantage sur les relations entre des adolescents en butte contre d'iniques pesanteurs sociales. Une cible plus jeune donc.

Comme Crisse, Mitric est une référence dans le dessin de BD française. Le trait et les couleurs sont d'une excellente qualité. Le premier semblait plus à l'aise dans les dessins réalistes et les scènes complexes, le second semble préférer les dessins plus inspirés, plus psychologiques, plus oniriques. Les couleurs de Lamirand sont superbes.

L'album précédent tissait des liens explicites entre Kookaburra et sa série dérivée Kookaburra Universe, entre le passé de Dragan et la rencontre du cinquième esprit créateur incarné dans ce monde. Ces liens semblent rompus, au moins pour ce tome. Une suite toujours séduisante graphiquement, mais qui aurait gagné en clarté à s'afficher comme le début d'une autre série Kookaburra, tant on s'est éloigné de l'esprit des cinq premiers tomes.

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