Le livre d'en bas

Peintre éclectique, difficilement classable, Pierre Touron n’est pas homme à se cantonner dans un seul registre pictural : du style Munch ou Cobra naïf centré sur des visages, parfois dotés de corps, évocateur de l’enfance et de ses angoisses,  au néo-expressionnisme, en passant par une forme de Quattrocento surréaliste à la Botticelli, revue et corrigée par Bosch et Magritte. Adepte de la nouvelle figuration, il se rapproche, ces derniers temps, de l’abstraction lyrique, d’un Kandinsky aux lignes hésitantes, de patchworks, de juxtaposition de textures colorées. L’une des formes stylistiques de Touron évoque la manière de Baselitz, ce peintre allemand torturé, amateur de figures inversées, et qui peint les têtes en bas.

Après avoir participé à de nombreuses expositions dans la région bordelaise (il expose actuellement avec le collectif « Diffractis »), il s’accorde, à la naissance de son fils, en 1996, une respiration graphique. Il retrouve le goût du dessin, devient illustrateur, puis illustrateur et auteur (dans cet ordre).  Il signe ainsi aux éditions Balivernes Le Dernier Voyage de Félicien, où un jeune garçon aide son grand-père Félicien, capitaine au long cours, à entreprendre son dernier voyage,  et Au cœur de la jungle où trois enfants s’aventurent dans une jungle où rôde une dangereuse panthère. Le Livre d’en bas, qui peut être vu comme une métaphore de la création (ce qu’il y a derrière ce qui est beau : le peintre et ses angoisses sous l’illustrateur bon teint) est son troisième ouvrage. Le plus original et le plus édifiant pour les enfants de 3 à 7 ans.

Le livre qui fait vraiment peur

A la bibliothèque municipale, Julien, surnommé Monstro car il ne s’intéresse qu’aux monstres, demande à Madame Pages un livre qui fait peur, mais comme il a lu plusieurs fois tous les livres effrayants, la bibliothécaire l’invite à retirer le mystérieux livre d’en bas. M. Codex, le spécialiste des livres rares, l’emmène au sous-sol. M. Crypto, l’archiviste, l’accompagne jusqu’au gardien du livre d’en bas, un certain M. Monstro. Et là où les choses se gâtent, c’est quand Julien doit jeter un coup d’œil au livre d’en bas…

Une descente au livre d’enfer

Le thème est original, amusant et didactique : un enfant qui lit beaucoup, qui ne lit que des livres d’épouvante et qui, confronté à un livre insupportable, finit par aimer tous les livres. Entre humour (« le chat Pitre », « le revenant est de retour »), poésie (des livres rares dans des cages, le contenu des livres est présent dans le sous-sol de la bibliothèque), suspense (« Quel est donc ce livre mystérieux ? », des sous-sols de plus en plus glauques) et morale (« Ah, tu veux avoir peur ! »), le dosage est savamment distillé. Le style est correct. Le scénario est agréable, prenant et bien ficelé dans l’ensemble.

Comme dans les autres ouvrages de Pierre Touron, le récit semble guidé par l’atmosphère graphique et la tonalité des couleurs. Les pages entièrement illustrées sont des petits tableaux où chaque détail est un signifié. Les couleurs, plutôt chaudes, atténuent le climat tendu induit par les textes. L’absence de contours du rendu crayonné (fonds mi-pointillés, mi-fusain) donne la parole aux couleurs. La couleur principale de ces pages traduit l’état émotionnel de Julien et la descente dans un univers de plus en plus proche de ses aspirations et de ses craintes. Plutôt réalistes, les personnages de la bibliothèque deviennent de plus en plus difformes et monstrueux, jusqu’au rat de bibliothèque et au Monstro Frankenstein aux cheveux hérissés de terreur.

Un livre sur les enfants qui aiment avoir peur et qui ne devraient pas. Un livre sur les livres qui font peur.  A mettre entre toutes les mains.