BD
Photo de Arcanes

Arcanes

Christophe Palma (Dessinateur), Stéphane Collignon (Dessinateur), Jean-Jacques Dzialowski (Dessinateur), Olivier Peru (Dessinateur), Patrick Renault (Scénariste)
Aux éditions : 
Date de parution : 31/05/08  -  BD
ISBN : 9782302002029
Commenter
Benjamin   - le 31/10/2017

Arcanes

Patrick Renault, avec l’appui d’un collectif de dessinateurs, s’attaque à Lovecraft chez Soleil. Tentative qui a ses précédents – avec le dessinateur et scénariste Breccia notamment, considéré comme le summum indépassable – celle-ci se démarque néanmoins par une volonté d’appliquer, en cinq courtes histoires, le folklore lovecraftien dans de nouveaux contextes, victoriens ou modernes.

Le concept

L’univers de Lovecraft est si vaste qu’il peut s’inscrire à tous les instants de l’histoire de l’humanité. Nous rappelant ce détail, c’est ainsi que Patrick Renault aborde le mythe de Cthulhu : en choisissant des époques différentes de celles des années 20/30 pendant lesquelles se déroulent les œuvres fondatrices, il tente d’exploiter l’étincelle de cet univers dans d’autres situations. Évidemment, ce n’est pas un exercice nouveau, mais couplé avec le support BD, ces deux demi-variantes en font une nouvelle. Patrick Renault prend aussi le risque d’inclure des rouages scénaristique modernes qui pourraient coller à cette atmosphère (deux points de vue d’une même scène ; la schizophrénie pour Dagon ; croisement entre des univers imaginaires différents).

Autre détail conceptuel : ceci n’est pas une BD franco-belge classique, tant la forme ressemble au comics. Cinq histoires composées de quelques feuillets et chacune introduite par une flamboyante illustration (nettement différente du rendu des cases suivantes). Le style graphique du premier et du dernier récit sont du plus pur style comics (mise en page comme dessin). Normal, Jean-Jacques Dzialowski a travaillé pour DC Comics. Ce n’est également pas une bande dessinée traditionnelle car on ne plonge pas dans une longue histoire. Sans rapport les uns avec les autres, ou presque, on survole des univers sans s’y arrêter. Une expérience en somme.

Dissections d'instants fugitifs

Le Signe sans nom / Massacre à Miskatonic High School
La première et la dernière ne sont en vérité qu’une même histoire. Le meilleur morceau de l’album. Une fusillade dans un lycée par des élèves sert magistralement de nouveau contexte moderne. Les événements nous sont narrés à travers l’interrogatoire d’un des agents de l’escouade d’intervention. Le Signe sans nom finit en queue de poisson et nous laisse sur notre faim : encore une histoire « d’indicible », de « ce que l’on ne peut nommer », de « ce que l’on ne peut voir » et l’on croit qu’ainsi se justifie la chute. C’est avec plaisir que l’on découvre que Massacre à Miskatonic High School est l’autre versant de cet événement étrange, vu par les adolescents meurtriers cette fois. Le flou s’évanouit et l'on comprend mieux l’étrangeté et les mystères de l’enquête dans Le Signe sans nom. Des lieux communs et quelques ficelles scénaristiques faciles n’empêchent pas l’écho entre les deux planches de « Fin » des deux morceaux de l’histoire de bien fonctionner. Bonne trouvaille qui permet de cerner en BD ce que l’écriture lovecraftienne aime à jouer avec notre imagination en usant des notions d’indicible ou de « couleur nouvelle ». La plus originale de ce premier tome, celle qui justifie le mieux l'envie re-créatrice de l'auteur.

Dagon
Le second récit est une adaptation moderne du Dagon de HPL. Il est servi par un coup de crayon très personnel, épuré, et des aplats de couleur. L’intérêt nouveau est de jouer avec la retranscription du texte : le lieu change, un double apparaît dans ce qui devient un souvenir-délire, le narrateur meurt par overdose. Le néophyte aura une bien pâle image de Lovecraft avec ce récit décousu et l’amateur n’y retrouvera ni nostalgie ni plaisir graphique.

Le Dernier voyage du Constable Swann
1891. Époque victorienne. Les dessins les moins élégants. L’histoire est un cross-over entre Sherlock Holmes et Lovecraft, dans lequel l'alchimie marche moyennement bien.
 
Tunguska
Une histoire sympathique, assez trash par instant, avec la plus belle apparition d'une créature du mythe de Cthulhu dans la BD. Rien que pour ça, elle vaut le détour. L'expédition dans un paysage neigeux rappele Les Montagnes hallucinées, et le titre évoque évidemment X-Files. Que se soit ou non un fait exprès, cela nous rappelle les trames communes qui existent entre l’œuvre de Chris Carter et celle de HPL. Les mémoires sont courtes et X-Files est une série qu’on aime penser avoir dépassé. Mais en analysant sérieusement la qualité de l’œuvre, son potentiel inventif et sa révolution en terme de scénarisation filmique, l’on dénotera des similitudes de savoir-faire, de schémas et d’innovations avec HPL dans leur univers respectif ( la plus évidente étant le traitement du fantastique en incluant la rigueur des nouvelles données scientifiques). Il est bon de le préciser car il est à peine étonnant de voir ce genre de coïncidence, ou d'hommage, quand on veut faire du Lovecraft moderne. Ce détail mis à part, Tunguska illustre bien l'idée de cette BD : une situation classique avec un soupçon d’idée neuve et dérangeante. La plus proche d’HPL dans le modus operandi.

Déjà fini...?

Arcanes se lit rapidement. Après la découverte que les dessins ne sont pas à l’image de la couverture, le découragement de se retrouver devant un sempiternel ouvrage moyen sur Lovecraft laisse place à la curiosité devant le premier récit, et cette volonté de modernisme. L’ensemble reste forcément inabouti. On sent d'un côté d’excellentes idées, de la nouveauté, mais aussi des travers dans lesquels il ne fallait pas tomber (Dagon, à tous égards le piège classique). D’ailleurs, quand on voit la couverture extrêmement inspirée de Peru sur ce thème, on aurait aimé qu’il s’y attaque pour renouveller Dagon (qui d’ailleurs n’est pas l'histoire la plus palpitante de Lovecraft mais celle qui, dans un dépouillement absolu, nous montre l'éclat le plus pur de la profonde originalité de l'auteur, que ce soit dans les thèmes en jeu ou les trouvailles narratives), non pas dans l'adaptation écrite, mais avec un esthétisme baroque.

Ouvrage assez court et forcément frustrant, on se prend à relire quelques passages tant la couverture est belle et que certaines scènes ne manquent pas de charme. À défaut d’une longue histoire mal maîtrisée, plusieurs petites ne permettent-elles pas d’éviter de se prendre les pieds comme tant d’autres dans la tombe d’HPL ? De simplement effleurer le mythe fantasmagorique d’un conteur hors pair, qui n’a pas fini de marquer les générations d’artistes et de lecteurs, dans l’espoir d’y faire briller subrepticement un éclat neuf que l’on sait ne pouvoir égaler ? En effet son monde n’est pas le nôtre et un auteur ne pourrait prétendre recréer un tel engouement qu’en créant lui-même un univers de toute pièce. Forcément conscient de ce fait, Patrick Renault nous offre une expérience poussée à la limite entre créativité personnelle et ré-exploitation d’un chef d’œuvre. Par essence un échec, l’originalité de la présentation lui permet d’atteindre celui d’objet de curiosité. Bien entendu les illustrations d’Olivier Peru, qui rehausse considérablement l’ouvrage, laissent songeur quant à imaginer un ouvrage lovecraftien avec une tel envoûtement graphique. De très bonnes idées scénaristiques laissent toutefois espérer que l'auteur pourrait, dans un prochain opus, nous offrir une oeuvre aboutie dans laquelle sa démarche se serait épanouie.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?