La répulsion de Karst Olenmyl
Depuis la parution de l’anthologie Ouvre-toi et de la première novella Métropolitain de Yan Marchand en 2007, les éditions Griffe d’Encre ont gratté leur bonhomme de chemin. La vieille Anglaise et le continent a été lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire 2009 (nouvelle francophone) et du Prix Julia Verlanger 2008. La Répulsion de Karst Olenmyl est la huitième novella de la collection. Elle est signée Sébastien Gollut, connu pour ses illustrations, ses nouvelles (dont le Plaidoyer pour la terre de l’anthologie consacrée à la Terre chez Griffe d’Encre) et sa mise en cartes du roman Fata Designata (publié chez Iceberg Editions, qui a fermé ses portes le 31 décembre 2008).
De l’absurde horrifique, à la SF introspective, au conte décalé, au fantastique gore, en passant par l’anticipation comique, les novellas de Griffe d’Encre font résolument dans la diversité. La Répulsion de Karst Olenmyl aborde un nouveau genre : la fantasy itérative. Un genre plus commun en science-fiction où les boucles spatio-temporelles autorisent quelques enfermements comiques ou tragiques, selon l’auteur. La magie fait ici office d’anneau de mouvement perpétuel. Une réussite, cette fois encore, pour Griffe d’Encre qui en multipliant les genres et les auteurs pas toujours confirmés prend certains risques.
Magie de la répulsion
Pour le géant Karst Olenmyl, tous les chemins mènent à Selme. Tous ses efforts tendent à l’y conduire. Mais tandis qu’il semble atteindre son but, une répulsion inexpliquée le transporte loin de son havre obsessionnel. Étrange, très étrange, car sur le continent dévasté des Jémellides, les Maîtres de Terrcendres veillent à ce que la magie ne renaisse pas de ses cendres. Depuis l’apocalypse du Grand Orage, la magie est interdite sous peine de mort et rien n’échappe à la vigilance des Maîtres Chasse.
Lorsque les Maîtres apprennent qu’un géant disparaît à l’approche de Selme, ils mènent leur enquête. Des sorts puissants protègent Selme. Un magicien dissident aide Olenmyl à élucider le mystère. Il est traqué par un Maître Chasse. Jusqu’à l’enfant de la lune jaune…
L’attractrice étrange
Karst Olenmyl est une sorte de Patrick McGoohan à l’envers. Le numéro 6, prisonnier de la célèbre série britannique éponyme, cherchait à s’échapper par tous les moyens du Village. Karst Olenmyl, lui, cherche compulsivement à rejoindre le village de Selme, mais une magie puissante l’en expulse loin, dès qu’il l’atteint. Cinq, six, sept, jusqu’à dix répulsions rythment, par chapitre, la novella de Sébastien Gollut.
Un univers magique, post-apocalyptique, un géant mi-pantin, mi-opiomane rejeté par celle qui l’attire, une police politique magique et ses victimes soumises nous happent, nous aussi, dans une atmosphère aussi pesante que fascinante. Un monde fantasique original. Sans risque de répulsion pour le lecteur.
En une centaine de pages, lues d’une traite, le lecteur aspire (est aspiré) jusqu’à l’épilogue, où il découvre avidement le miracle de la naissance des Jémellides. Une écriture soignée. Des personnages tracés à gros traits, mais au discernement subtil (hors Karst). Un dualisme plutôt manichéen (côté lumière, côté obscur), mais une dissémination maîtrisée des champs électromagiques. Une évolution un peu rapide des personnages (novella oblige), mais une variété chatoyante d’émotions (obsession, peur, amour, tendresse, rage, violence).
Alors bien sûr, si l’on voulait faire de la cryptopsychanalyse, et sans dévoiler le dénouement, on pourrait se gausser d’une attraction-répulsion centrée sur l’acte sexuel, le sexe féminin et la naissance. Un monde où l’interdit magique évoque l’interdit sexuel. Où le géant se dresse sans cesse vers sa cible béante sans conclure. Où l’orage primitif est plutôt suggestif… Mais, au-delà de la métaphore sexuelle à laquelle l’aboutissement de la novella nous invite, il reste une atmosphère envoûtante, une intrigue haletante et un univers singulier.
Une bonne griffe. Un bon cru d’encre. Un auteur qui a des choses à dire, qui sait les dire et dont on attend qu’il nous en dise plus encore.