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Les Chants de la Walkyrie

Arthur Rackham (Illustrateur de couverture), Edouard Brasey ( Auteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 02/10/08  -  Livre
ISBN : 9782714444349
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Arkady   - le 31/10/2017

Les Chants de la Walkyrie

Une obscure malédiction plane sur la mythologie nordique (ou germanique), sans doute la plus méconnue des mythologies européennes. Si ses consœurs grecques, romaines et celtiques font les choux gras des manuels scolaires et des romans de fantasy moderne, la mythologie nordique intéresse peu voire pas du tout, faute bien souvent de portes d’entrée sur ce folklore particulier. Sans les œuvres de Richard Wagner, il est même fort à parier qu’elle aurait sombré dans un oubli culturel de bonne guerre – une amnésie peut-être, et encore, liée à la récupération de certaines de ses thématiques par les nazis (alors qu’au contraire la mythologie nordique s’impose comme la plus humaniste du lot).
Ce désamour intrigue et attriste, compte tenu de la densité des contes et des légendes nordiques, et en regard de la popularité actuelle de l’imagerie fantasy. Si cette mythologie est à la base de nombreuses œuvres fondatrices de la fantasy moderne (dont le Seigneur des anneaux), les descendants de celles-ci semblent avoir oublié en chemin cette filiation, s’inscrivant alors comme des déclinaisons ou des relectures de ces œuvres fondatrices au lieu de repartir des archétypes de cette mythologie originelle.
Dans les quelques romans de fantasy moderne qui s’y rapportent, on notera côté français les tentatives plus ou moins convaincantes de Fabrice Colin (le cycle de Winterheim) et de Nicolas Bouchard (le cycle de L’Empire de poussière). Côté anglo-saxon, seul le dyptique du Chevalier-Mage de Gene Wolfe parvient à se hisser à la hauteur de la subtilité de son inspiratrice, au prix, certes, d’une complexité narrative peu encline à faire découvrir celle-ci aux novices.
Ceux qui ont mauvais fond pourront également trouver sibyllin que plus une mythologie est ambigüe et imaginative, plus elle est rejetée au profit des figures policées et, depuis le temps, hémiplégiques d’autres – la littérature actuelle n’étant pas non plus, il faut le reconnaitre, réputée pour sa capacité d’adaptation et d’innovation.
Cette longue introduction pour vous dire que d’emblée, et malgré des défauts qu’on ne saura taire, la tétralogie de La Malédiction de l’Anneau répare de par sa simple existence une injustice par trop prégnante. Hélas, diantre et foutrededieu, cet acte de bravoure est un coup d’épée dans l’eau qui sonne amèrement aux oreilles de nos petits cœurs meurtris.

Plouf

Les Chants de la Walkyrie est le premier volet de cette tétralogie, dont le quatrième tome est d’ors et déjà prévu pour l’automne 2010. Elle est l’œuvre d’Edouard Brasey (et non de Sean Connery comme le laisserait croire la photo de couvrante), à ce jour peu connu pour ses capacités de romancier, mais en revanche généralement bien coté pour son talent de vulgarisateur de fantasy (une bibliographie d’une trentaine d’ouvrages plus ou moins conséquents sur la matière, au sein desquels quelques mauvais fonds – toujours les mêmes – pointeront des titres énigmatiques et ambigus comme Enquête sur l’existence des anges rebelles). Sa connaissance en la matière folklorique semble donc, de prime abord, un bon gage de qualité quant à la fidélité de sa retranscription d’une mythologie que des siècles d’obscurantisme ont altérée.
Ce premier opus relate le destin de la Walkyrie Brunehilde, qui est chargée de veiller sur la descendance humaine d’Odin. Son chant, étalé sur une bonne cinquantaine d’années, retrace ses joies, ses peines, ses amours, ses états d’âmes d’immortelle rêvant de mortalité, avec en toile de fond le récit de conflits barbares ravageant l’Europe et d’embrouilles tortueuses de dieux faibles et querelleurs. L’histoire de ce premier tome prend fin à la naissance de Siegfried.
Il est difficile, à la lecture de l’ouvrage, de défendre Edouard Brasey, même avec la meilleure mauvaise foi du monde, tant celui-ci prend l’eau de tous bords. Sur le fond, le récit patauge dans les largeurs, la faute, je pense, à un parti pris trop mitigé. Quant il s’agit de baser un récit sur une mythologie pré-existante, il paraît plus sage de choisir entre une retranscription fidèle (option éducative) et une re-création (option littéraire – ce qu’a fait Gene Wolfe ou ce qu’a fait Robert Holdstock avec les mythes de Merlin et Jason dans sa remarquable trilogie Celtika). Edouard Brasey choisit la voie médiane et dresse de fait un portrait bancal de la mythologie nordique, tantôt fidèle tantôt invraisemblable – il faut reconnaître pour sa défense que celle-ci conserve historiquement de nombreuses zones d’ombres et a donné naissance à moult interprétations.
L’un de ses principaux défauts à ce titre est une gestion maladroite de la temporalité. L’auteur s’attarde d’une main sur des dialogues et des épisodes anodins du quotidien des personnages, pour bâcler de l’autre plusieurs décennies d’histoires qui auraient mérité un approfondissement, ne serait-ce que pour crédibiliser l’évolution psychologique des héros. La toile d’ensemble tissée s’en retrouve pour le moins inégale.
Plus embarrassant, les bouche-trous (sans vilain jeu de mots) qu’invente Edouard Brasey pour relier entre elles les mésaventures d’Odin, Loki, Brunhilde, Siegmund et Sieglinde sont assez exubérants et très orientés histoires de fesses. Ainsi Odin envoie Brunhilde dérober une pomme d’or à Freyja (assimilée à Idunn donc), pour qu’elle la donne à la femme de l’empereur Rérir, l’un des descendants humains d’Odin. Brunhilde doit ensuite rester sur terre pour veiller sur la lignée de celui-ci, et elle finit par tomber amoureuse de son fils, Walsung, qu’elle épouse en grandes pompes, mais, pas de chance, celui-ci, tout impuissant qu’il est, n’arrive pas à la féconder, alors Odin se déplace en personne, en empruntant l’apparence de Walsung pour se répandre dans la matrice de Brunhilde et s’assurer ainsi de la continuité de sa descendance. La malédiction de Brunhilde faisant suite à ses relations tendancieuses, elle a nettement moins de charme que la rebelle attitude de l’originelle (dans la légende Brunhilde est maudite et renvoyée sur Terre par Odin car elle a refusé de prendre parti pour le champion d’Odin lors d’une bataille). Pour mémoire, attend le lecteur dans les prochains tomes l’histoire d’amour (fidèle celle-ci) entre Brunhilde et Siegfried, qui est le fils de Siegmund et Sieglinde eux-mêmes fils et fille de Brunhilde et d’Odin, dissimulé sous les traits de Walsung lui-même arrière-petit-fils d’Odin, Odin qui est également le père de Brunhilde…
Edouard Brasey afflige également Brunhilde d’un amant platonique (transfiguration boiteuse du personnage de Horst) et de Svanhilde, une jeune traîtresse idiote et inconsistante qui s’en ira copuler goulûment avec les barbares. Seuls Siegmund et Sieglinde s’en sortent à peu près bien, malgré, là encore, l’emphase mise sur le caractère incestueux de leur relation.

Plouf plouf

Les errements du fond pourraient, à la rigueur, passer si l’histoire était soutenue par un rythme enflammé, par une plume délicate ou par la voix chaleureuse d’un conteur, mais malheureusement on est loin de tout cela. Le style du roman est scolaire, maladroit et ne convainc jamais, pire, il finit par agacer le lecteur et le détacher des enjeux du récit ; plane même parfois sur la lecture l’ombre de l’univers innommable des fanfictions (d’ailleurs la caractéristique numéro un d’une fanfic n’est-elle pas l’invention de relations sexuelles entre les héros ?).

1) Les dialogues sont assommants, voire aberrants. Par exemple, Odin raconte la création du monde à Brunhilde comme si elle n’était pas au courant ; de la même façon Loki énumère ses exploits à la Völa comme il écrirait une notice nécrologique.
2) La psychologie des personnages n’est pas travaillée. Ils ânonnent des sentiments établis d’avance, sans que le lecteur ne ressente une quelconque évolution de ceux-ci.
3) La redondance règne en maîtresse. Conséquence logique du (2) les personnages n’évoluant pas ils ressentent tout le temps la même chose. Les images employées se répètent tout aussi abusivement. Exemple : « les neuf Walkyries fondirent (…) comme des oiseaux de proie… » (p.69) ; « je survolais les champs de bataille comme un fier oiseau de proie » (p.102) ; « les walkyries volaient de conserve vers les champs de bataille (…) fondant comme des oiseaux de proie » (p.103 !).
4) Le récit est trop appuyé dès qu’il s’agit de surligner les ressemblances avec Le Seigneur des anneaux. Était-il nécessaire de faire qualifier l’anneau ainsi : « mon précieux… mon très-précieux » ?
5) L’auteur insiste lourdement sur les scènes sexuelles, toutes empreintes d’une aura vulgaire et un tantinet mâle (une orientation pour le moins incongrue au sein d’une mythologie qui fait la part belle aux personnages féminins) : « Walsung était un fier gaillard que la nature avait pourvu de tous les attributs dont peut s’enorgueillir un homme ». La narration virile de la scène de sexe entre Odin et Brunhilde, trop longue pour être citée, me semble également déplacée (mais peut-être suis-je trop prude ?).
6) Le tout est emballé avec une grandiloquence épuisante, qui trouve son apogée dans des images d’Epinal qui prêteraient à sourire en d’autres circonstances : « …ses prunelles étaient tantôt aussi claires que l’azur par un matin d’été, tantôt sombres comme l’insondable océan… », « …ils avaient répondu en même temps, sur le même rythme, dans le même souffle, la voix cristalline de la jeune fille inextricablement liée à celle, plus grave, de son frère, comme sont liées les branches fleuries du rosier aux ceps pleins de fruits de la vigne sur les tombes des amants morts d’amour… », « …Après le long hiver froid et terne, le Rhin retrouvait son aspect riant, égayé par le réveil de la nature demeurée trop longtemps engourdie sous son manteau de neige, et par mille petits tableaux pleins de vie mettant en scène les biches et leurs faons, les juments et leurs poulains, les vaches et leurs veaux, les oiseaux et les oisillons, sans parler des essaims d’insectes bruissant dans l’herbe verte. »

La littérature c’est mal ; les jeux vidéo c’est bien

En définitive, le laisser-aller des Chants de la Walkyrie écrit à la volée, sans style, sans ambigüité et sans distance, une négligence qu’on imputera autant à l’auteur qu’à l’éditeur, qui n’a tout simplement pas fait son travail, ne pourra que rebuter un lecteur exigeant. L’ampleur de cet échec – il faut dire que l’attente (la mienne en tout cas) était grande – agace d’autant plus que la méconnaissance de la mythologie nordique reste immanente dans la tête des lecteurs actuels de fantasy, qui chérissent un genre sans en avoir assimilé les fondements et donc la profondeur. On conseillera à ceux-ci de se plonger dans les rares retranscriptions des Edda, dans la saga des Nibelungen, dans l’œuvre de Richard Wagner, dans la documentation éparse du Net et, évidemment, dans la modernisation flamboyante qu’ont en fait les créateurs de jeux vidéos. Car c’est finalement là où la littérature échoue que le domaine du jeu vidéo s’impose, en assimilant avec respect et créativité les figures de la mythologie nordique (on citera par exemple Valkyrie Profile), prouvant une fois de plus que les arts culturels du nouveau millénaire ne sont pas nécessairement à chercher sur des feuilles de papier kilométriques torchées par des scriptes peu soucieux de leur production et de leur légitimité.

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