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Dans le stade

Daryl (Scénariste), Popcube (Dessinateur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 16/10/08  -  BD
ISBN : 9782916739380
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Lavadou   - le 31/10/2017

Dans le stade

Daryl est plus connu dans nos contrées science-fictives sous le nom de David Calvo. Étonnant de le retrouver en tant que scénariste de BD ? Pas vraiment, puisque l’auteur de Minuscules flocons de neige depuis dix minutes, de Wonderful ou de Sunk (avec Fabrice Colin) n’en est pas à son coup d’essai. Depuis le début du siècle, il a scénarisé plusieurs ouvrages chez Dargaud (la série Kaarib, avec Jean-Paul Krassinsky) ou aux éditions Carabas (AK, Télémaque et Akhénaton).

Popcube, alias David Vincent Richard, est un dessinateur et illustrateur ayant démarré dans des fanzines tels que Atatawata, Matto, Noodle… D’abord autopublié, il sort quelques histoires plus ou moins courtes chez divers éditeurs comme Atrabile (Regret(s), dans Bile noire, en 2007). Il réalise également des maquettes de CD pour Gatsby ou Rimbaud.

Un stade pour univers

Efrim et Daniel vivent dans un bidonville en plein milieu d’un stade. Sous une nuit étoilée éternelle, ses habitants n’ont aucune idée de ce qui se passe à l’extérieur. Ils ne peuvent pas en sortir. La seule chose qu’ils savent, c’est que de mystérieux êtres font régulièrement des rafles sanglantes, plongeant la population du stade dans un état de peur permanente. Malgré un avenir des plus incertains, Efrim tente de retrouver les traces d’un passé oublié à travers des objets dénichés dans les tas d’ordures qui encerclent le bidonville. Avec, à l’esprit, ces étoiles qui brillent au-dessus de sa tête, seul réconfort dans un monde en perdition.

Un album ardu

Rentrer dans l’univers de Constellations n’est pas évident. Le graphisme, que l’on sent fortement inspiré du manga tout en conservant une certaine originalité, est assez inégal : alors que Popcube excelle dans les décors, notamment les plans larges du stade avec de nombreux détails sur l’enchevêtrement des cabanes qui en jonchent le sol, il est parfois plus imprécis dans la représentation des corps et des visages, notamment lorsqu’ils sont en mouvement. Toutefois, on s’habitue relativement vite à ce style qui n’est pas dénué d’intérêt et parvient à retranscrire l’atmosphère assez étouffante du stade. D’autant que le dessin est dynamique et que, malgré quelques passages confus, il imprime à l’histoire un rythme soutenu.

Côté scénario, Daryl n’a rien à envier à son alter ego littéraire : ne vous attendez pas à tout comprendre, sauf si vous êtes sur la même longueur d’onde extraterrestre que l’auteur. Ce premier tome joue pourtant son rôle convenablement : mise en place du décor, des personnages, distillation des informations sur le contexte par petites touches, notamment à travers des flashbacks bien placés. C’est au niveau de l’intrigue que l’on a un peu plus de mal à suivre : on ne comprend pas trop ce que cherchent exactement Efrim et Daniel. Ce qui rassure, c’est que visiblement ils ne le savent pas non plus ! En fait, Daryl nous plonge dans le même état de confusion que ses héros, errant sans but précis dans ce stade composite où les gens hésitent entre survie et résignation. Ce qui risque de laisser le lecteur sur le côté de la route si celui-ci ne s’accroche pas à une intrigue dont, pour le moment, on ne voit pas la finalité. Et ce serait bien dommage, car Dans le stade comporte, dans sa trame, des thèmes particulièrement intéressants.

Une quête identitaire

Les premières planches de l’album, avant même que l’histoire ne commence, montrent des toits désordonnés faits de bric-à-brac, des tas d’ordures plus hauts que des immeubles, et une obscurité percée de petites étoiles. Autant dire que l’ambiance n’est pas spécialement festive. Le stade a plus des allures de camp de réfugiés que de lieu de culte sportif. On voit les habitants regarder, désœuvrés, ce qui se passe dehors, attendant à moitié cachés sur le seuil de leur taudis, ou carrément allongés à même le sol. Daryl et Popcube inventent ainsi une microsociété à l’abandon, oppressée par la peur des rafles et la misère. Au-delà de cette peur, ce sentiment d’abandon est renforcé par la perte des repères qui maintiennent une civilisation en vie : les jeunes héros que l’on suit sont nés dans le stade, et leurs parents, dépositaires d’un passé qu’ils n’ont pas connu, sont morts pour la plupart. Si bien qu’ils n’ont aucune racine, aucune branche à laquelle se raccrocher pour fuir le présent. Ils ne peuvent même pas espérer une vie meilleure puisqu’ils n’en connaissent pas d’autre.

C’est la raison qui pousse Efrim à récolter toute sorte de choses dans les monticules d’ordures : il espère découvrir une partie de son passé, imaginant le rôle de ces objets qui n’ont plus d’utilité aujourd’hui. Et ainsi, retrouver son identité. Cette quête représente le fil conducteur de l’album. S’il parvient à reconstituer un morceau de passé, il apprendra peut-être qui il est et où il va. « Ce qui nous rattache encore au genre humain, hormis ces étoiles que l’on contemple avec des yeux si jeunes, ce sont nos gestes quotidiens, et la somme de choses, de biens usuels, d’extensions de nous » : à travers cette phrase, Daryl résume les fondements de toute société humaine, ce qu’il faut faire perdurer pour ne pas devenir du simple bétail.

Naissance d’une mythologie

Cette lutte contre le désespoir et l’oubli, menée de façon plutôt matérialiste par Efrim, se joue aussi sur le plan de l’imaginaire, à travers Daniel et Fanny. Dans le stade comporte une forte dimension onirique. « Les gens ont besoin d’un rapport intime avec leurs rêves », explique Fanny à Efrim : c’est pour elle un moyen de trouver une échappatoire à leur situation, un moyen de vaincre ces êtres inconnus qui leur imposent une vie misérable. L’imaginaire, stimulé par l’art, devient ainsi une arme, un canalisateur pour la colère et la révolte qui animent les jeunes du stade : musique, sculpture, à travers l’art s’exprime toute la frustration d’une génération à qui l’on interdit de vivre. « Nous n’avons que du bois et du plastique pour lutter contre ce qu’il y a de l’autre côté. Notre imaginaire est la seule solution ». Message on ne peut plus universel…

On voit donc là deux manières de combattre la fatalité qui s’opposent parfois : « La poésie ne sauve pas les gens », dira Efrim. Mais qu’elles soient matérielles ou immatérielles, ces méthodes contribuent toutes deux à la création d’une nouvelle mythologie, autre ingrédient essentiel au maintient d’une civilisation. Cette mythologie tourne autour des étoiles, porteuses de lumière et seuls éléments externes au stade que ses habitants peuvent apercevoir. Elles acquièrent dès lors un statut sacré. Et les constellations qu’elles dessinent, symboles de connexion, vont être autant de guides pour ces êtres à la recherche d’une identité. Que ce soit à travers les objets du passé ou l’imaginaire, cette lumière sera, peut-être, leur salut. On espère que cette dimension, encore floue dans ce premier volume, prendra plus d’ampleur par la suite. Un portfolio assez hétéroclite à la fin de l’album, réalisé par plusieurs contributeurs, apporte d’ailleurs quelques éléments supplémentaires à cette mythologie naissante, comme une charnière avec les prochains tomes.

Éclaircissement des Constellations

On sent donc que Dans le stade véhicule de nombreux messages et symboles, entre onirisme et mythologie, que l’on a du mal à organiser autour d’une intrigue pour le moment plutôt insaisissable. C’est sans doute cela qui manque à cet album pour faire véritablement mouche : une articulation un peu plus abordable des idées. Il n’en reste pas moins que Daryl et Popcube ont créé une œuvre pleine d’intérêt qui mérite qu’on s’accroche. On notera également l’originalité de la couverture, qui brille dans le noir comme les étoiles fluorescentes que l’on colle à son plafond lorsqu’on est enfant. Plus qu’un gadget, cela s’inscrit dans une démarche que l’on devine pleine de sens et qu’on aimerait voir, sinon explicitée, au moins un peu plus balisée dans les prochains tomes.

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