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Les chaînes du dragon

Amandine Labarre (Illustrateur de couverture), Patricia Briggs ( Auteur), René Baldy (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/10/08  -  Livre
ISBN : 9782841724505
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Christian   - le 27/09/2018

Les chaînes du dragon

C’est grâce à son deuxième roman Steal the Dragon (1995) que Patricia Briggs a trouvé un public aux Etats-Unis.  C’est en jouant encore sur la veine dragonesque qu’elle a renoué avec le succès lors de la parution en 2002 et 2003 de son dyptique « Dragon bones »/ « Dragon blood ». Elle s’est dès lors imposée comme une auteure fantasy exigeante, aux personnages vivants, réalistes et non dénués d’humour.  Depuis, elle a versé, à la demande de son éditeur, dans la fantasy urbaine avec son cycle Mercedes Thompson et enchaîne les best-sellers du genre aux USA.

Pour faire découvrir l’œuvre de Briggs, encore peu publiée en France (Le best-seller L’appel de la lune est sorti en novembre 2008), l’Atalante a eu la bonne idée de traduire le premier tome de la série d’Hurog. Un bon texte. Une élégante illustration d’Amandine Labarre en couverture. Une excellente traduction de René Baldy. Que peut-on demander de plus ?

Stolon, le gardien du dragon

Pour sauver sa sœur muette des griffes de ses cousins, le prince Stolon se faufile à grand-peine dans les arcanes d’un château bâti jadis par les nains.  Dans cet ancien sanctuaire, gît le squelette entravé d’un dragon, source d’un antique pouvoir magique. Hurog était autrefois la terre des dragons et Stolon d’Hurog est de la lignée des gardiens qui les protégèrent durant des millénaires. Mais ce temps est révolu. Un roi cruel et ombrageux, le père de Stolon, règne désormais en petit seigneur teigneux sur cette terre aride et montagneuse.

Pour éviter la colère meurtrière de son père, Stolon a caché son jeune frère loin du château familial et se fait passer pour un demeuré. Lorsque le seigneur d’Hurog succombe à une chute de cheval, Stolon reçoit la bague d’Hurogmestre de la main d’Oreg, le spectre ancestral. Jugé trop jeune pour gouverner, Stolon ne peut devenir maître des lieux. Son oncle Barbarin est désigné à sa place et ne tarde pas à écouter les sombres conseillers du grand roi Jakoven qui lui proposent d’enfermer son neveu dans un asile.

Pour les prendre de vitesse, Stolon décide de s’enfuir en révélant son mensonge à ses premiers compagnons, sa sœur Ciarra, le nain Axiel, Sclavina l’esclave en fuite, Oreg et Penrod. Il veut délivrer la terre d’Oranston de ses envahisseurs du Vorsag et regagner par le prestige des armes le titre qui lui revient de droit. Mais les maîtres du Vorsag et leurs mages n’ont qu’une idée en tête : retrouver les sources de la magie ancienne jusqu'à Hurog s'il le faut. Leurs chemins vont se croiser.

Haut de gamme manqué

Rien ne manque à l’autel de la fantasy : le château, les dragons, les nains, les magiciens, le bouffon, le troubadour.  Des personnages ambigus, frustrés, truculents. Une narration bien ficelée. Patricia Briggs ajoute à ce mélange bien convenu une pointe shakespearienne : la figure du faux imbécile, l’énergie de la jeunesse, les conflits œdipiens, l’intelligence des dialogues. Voilà des premiers chapitres qui fleurent bon la fantasy haut de gamme.

On commence par une version épique des Rois maudits, puis la fuite de Stolon et de ses compagnons prend des allures de jeu de rôle. Le récit baisse d’un ton. Stolon se rend en Oranston sans connaître la gloire ; il y apprend des choses surprenantes sur Hurog. Ça démarre si bien qu’on s’attendrait à ce que Stolon prenne de l’envergure, s’affirme moralement, mais aussi brille d’une intelligence si longtemps camouflée. On est un peu déçu, car Stolon joue les soufflés. Petit à petit, le personnage ne vaut plus que par ses acolytes à la personnalité plus convaincante. Certes, il y a le retour à Hurog avec des scènes de combat contre un dragon dignes de Star Wars (ou de Wagner pour les plus musiciens d’entre nous), mais on se dit qu’on aurait préféré remonter vers le nord avec l’autre groupe, celui qui s’est rendu au royaume des nains.

Par manque d’envergure, Stolon s’avère être finalement l’archétype d’un personnage de fantasy jeunesse. Il poursuit une quête contrariée et somme toute, assez peu captivante et ce sont les autres personnages, ses cousins ou les proches du grand roi qui sont les plus intéressants. La duplicité des jumeaux dans l’adultère avec la reine, les amours homosexuelles cyclothymiques du seigneur d’Oranston avec Jakoven, la perversité du roi nous éloignent du roman jeunesse, mais nous restons, somme toute, un peu entre deux univers. À la frontière du 15 et du 18 ans. Stolon est plutôt du côté 15 et Gandelon (le favori du roi) plutôt au-dessus de 18. Et la quête du petit groupe de rolegamers paraît insipide face aux intrigues de la cour royale.

Avis aux amateurs de magie : celle-ci fonctionne au ralenti. Plus on s’éloigne d’Hurog, moins elle est active et une bonne partie du roman se passe loin du sanctuaire des dragons. Priorité au voyage et aux petits combats. Avec des bons cascadeurs et de bons effets spéciaux. Pour une fois, dans un roman de fantasy, les combattants ont besoin de s’entraîner pour progresser. C’est rare. On ne voit plus ça que dans les jeux vidéo.

Le récit est découpé en chapitre où le point de vue de tel ou tel personnage prévaut. Celui-ci donne son nom au chapitre. On a donc une succession de chapitres Stolon, Stolon, Stolon, à la première personne, entrecoupés de Kromdick, Beckram et Gandelon à la troisième personne (les chapitres les plus intéressants finalement). Art de Patricia Briggs ou effet de la traduction ? Le style est très maîtrisé et l’on regrette parfois l’abondance de dialogue tant les descriptions des personnages sont justes, précises et sémantiquement riches. À l’exception de Stolon, les personnages sont typés et l’entrechoc de leurs humeurs, traité sur le mode ironique, sonne souvent vrai.

Patricia Briggs donne clairement le sentiment d’avoir des talents de conteuse et de visionnaire très au-dessus de la moyenne, mais elle n’a pas donné, dans ce roman, toute la mesure de son talent. Quelle idée de promener sa bande de héros à Oranston pour (presque) rien ! Alors qu’il y avait tant de matière à explorer… Au total, un univers séduisant, une bonne pincée d’intelligence, un mélange d’ingrédients de qualité, un peu gâché par le management plutôt flasque des personnages. Dommage parce qu’on n’est pas passé loin du grand livre de fantasy. Avec le tome 2,  Le sang du dragon , bientôt publié en français, Patricia Briggs aura droit à une seconde chance.

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