Le Bâtard de l'espace

Colin Thibert (de son vrai nom Pierre Colin-Thibert), auteur français né en 1951, a un parcours plutôt atypique. Il commence par exercer différents métiers aussi variés que manœuvre de chantier, imprimeur, graveur en bijouterie, avant de passer par l’illustration de presse. Vient ensuite l’envie d’écrire. Il commence par des pièces radiophoniques, avant de se lancer dans le scénario pour la TV, avec notamment la série Maguy et divers dessins animés et téléfilms. Il fait son entrée dans la collection Série Noire de Gallimard en 2001 et sort plusieurs romans dont Royal cambouis ou Nébuleuse.org. Il écrit également pour la jeunesse, dont le recueil Tirez sur l’ambulance ! aux éditions Thierry Magnier en 2008. Le Bâtard de l’espace est ainsi son deuxième recueil chez cet éditeur, dans la collection Nouvelles dédiée aux adolescents.

Photographies ironiques du genre humain

En dix nouvelles, Colin Thibert dresse un portrait ironique d’une humanité au bord de la folie. Clonage, voyage dans le temps, guerre, autant d’occasions pour les hommes de prouver leur idiotie. Entre autres : Le Bâtard de l’espace présente une émission de télé-réalité qui embarque des jeunes décérébrés dans une station spatiale, pour vivre en vase clos pendant six mois ; Pivorce montre une nouvelle source de revenus juteuse pour les avocats : une loi permet aux enfants de se séparer de ses parents ; Un Christ peut en cacher un autre voit un voyageur temporel rencontrer Jésus Christ ; dans Comme les lemmings, tous les enfants semblent avoir été abandonnés par leurs parents sans raison.
   
Le futur comme extension de notre présent

Colin Thibert applique ici un procédé courant en science-fiction : parler du futur, plus ou moins proche, pour pointer les défauts de notre propre société. Peu original, certes, mais les sujets choisis sont dans l’air du temps et l’auteur s’adresse aux adolescents avec un ton moins banal : ironie et cynisme sont en effet de la partie dans presque tous les textes. Un cynisme parfois un peu lourd et trop démonstratif : Thibert fait du second degré une règle un peu trop systématique. Mais ces nouvelles sont à prendre comme des fables satiriques, même si leurs morales sont un peu répétitives.

Globalement, l’auteur prend, pour chaque nouvelle, un trait de société qu’il grossit à l’extrême : la télé-réalité (Le Bâtard de l’espace), la paranoïa sécuritaire (Le Syndrome de Columbine, Rusty), la cupidité (Le Cobra)… Le manque de subtilité fait partie du jeu, même si l’on peut regretter une expression formelle un peu trop simple – qui reste, cependant, caractéristique du type de récit choisi par l’auteur. Et même quelques fautes de narration, comme dans Le Bâtard de l’espace, qui commence à la première personne pour finir à la troisième personne sans transition évidente. On peut reprocher également une description un peu maladroite du contexte social et politique dans certaines nouvelles (par exemple, apprendre en classe la promulgation de nouvelles lois, en même temps que son professeur, alors que nous sommes dans une société médiatisée à l’extrême), ainsi qu’une utilisation superficielle des éléments SF. Mais le format court des textes n’invite pas à de longs développements, et l’objectif est généralement atteint.

On appréciera particulièrement les deux dernières nouvelles. Un Christ peut en cacher un autre laisse tomber la satire pour conserver un comique de situation à la limite de l’absurde. Et Comme les lemmings, contrairement aux autres textes, a un petit côté mélancolique dont le recueil aurait pu profiter un peu plus.

Développement de l’esprit critique

Avec Le Bâtard de l’espace, le public adolescent visé par l’auteur pourra être séduit par son ton un peu méchant et non politiquement correct. Pour peu qu’ils soient réceptifs à la satire, les lecteurs trouveront une occasion de développer leur esprit critique, fortement mis à mal de nos jours par des médias en grande partie uniformisateurs.