La Métamorphose de Franz Kafka
C'est certain, la métamorphose est un thème qui ne pouvait que plaire au scénariste Éric Corbeyran. Après des histoires tendres destinées aux enfants (Le Cadet des Soupetard, Graindazur), un thriller fantastique (Le Chant des Stryges) ou encore un travail en collaboration avec des détenus de la prison de Blois (Paroles de Taulards), Éric Corbeyran change une nouvelle fois de peau. Il nous propose ici une adaptation de La Métamorphose de Franz Kafka, célèbre nouvelle aux allures de fable allégorique du XXe siècle. Il signe cet ouvrage avec Horne, dessinateur talentueux avec lequel il a déjà collaboré pour le magazine Hors-Série chez Bayard Presse et pour les tomes 5 et 6 de la série Le Maître du Jeu. Horne offre une palette sombre pour tenter de donner une nouvelle vie à cette grande parabole énigmatique de la littérature. L'ouvrage s'insère ainsi naturellement dans la série des classiques adaptés en BD (on pense notamment à l'adaptation de La Colonie pénitentiaire de Kafka par Sylvain Ricard et Maël).
Triste Gregor ou l'homme devenu cafard
Comme chaque matin, Gregor Samsa, représentant de commerce, ouvre les yeux à l'aube pour se rendre à son travail. Mais à son réveil, il découvre avec stupeur qu'il s'est métamorphosé en un affreux coléoptère durant la nuit. S'il pense d'abord être en plein cauchemar, il se rend rapidement compte que sa métamorphose est bien réelle et qu'il va devoir vivre avec cette nouvelle carapace répugnante. Pris de panique à l'idée de ne pouvoir se rendre à son bureau, il est bientôt pénétré de honte et de culpabilité lorsqu'il comprend qu'il ne pourra plus subvenir comme avant aux besoins de ses parents et de sa sœur. Sa famille, horrifiée par sa transformation, l'enferme alors dans sa chambre. Gregor, le fils monstrueux, se retrouve pris dans un piège qui se referme peu à peu sur lui...
Une gageure : donner une nouvelle forme à La Métamorphose de Kafka
Corbeyran et Horne relèvent un défi transgressif en s'attaquant à l'adaptation d'une œuvre comme La Métamorphose de Kafka. Transgressif parce qu'au début du XXe siècle, Kafka avait lui-même précisé à son éditeur qu'il refusait toute illustration pour son livre. En effet, Gregor, devenu animal, incarne le monstre, cette « chose... » que l'on refuse de nommer et que l'on refuse de voir. Kafka avait refusé toute illustration parce que, selon lui, Gregor devait rester irreprésentable. Horne passe donc outre l'interdiction de Kafka en donnant forme à l'informe.
Il opte pour un graphisme signifiant. L'ambiance est sombre, elle prend corps dans un jeu d'ombres et de lumières dans lequel différentes teintes de gris sont dégradées. L'atmosphère qui se dégage des planches permet de reproduire assez fidèlement l'ambiance oppressante de l'œuvre originale, l'enchevêtrement des cases saturant les pages et reproduisant visuellement l'étouffement de Gregor. La narration n'est pas linéaire, le lecteur est obligé d'escalader les cases et de suivre un chemin sinueux et peuplé d'obstacles pour poursuivre sa lecture. On se retrouve alors littéralement dans la peau de Gregor le cafard, dont l'activité favorite – comme celle de tous les cafards, c'est bien connu – est un mélange d'escalade et de parcours d'obstacles.
Si la proposition du dessinateur est pertinente sous plusieurs aspects, on peut néanmoins regretter que l'adaptation ne permette pas de proposer une lecture plus originale de l'œuvre de Kafka. Le défi était difficile, certes, comment donner un nouvel aperçu d'une œuvre aussi connue ? Comment donner une nouvelle forme à La Métamorphose de Kafka ? Ici, la narration suit fidèlement la progression du récit original, l'accent est surtout placé sur la double métamorphose présente dans l'histoire (celle de Gregor en cafard qui permet celle de sa famille). Les auteurs insistent également sur l'atmosphère oppressante dans laquelle l'élimination du maillon faible s'effectue. Du coup, l'adaptation se concentre sur ce qui est le plus lisible dans le texte original, ce qui est dommage et un peu réducteur. En raison de ces partis pris, la richesse interprétative et l'humour incisif du récit kafkaïen sont malheureusement trop souvent sacrifiés, comme le cafard de l'histoire.