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Photo de New Harlem 2 - Rétro-cognition

New Harlem 2 - Rétro-cognition

Eric Corbeyran (Scénariste), Tibéry (Dessinateur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 01/04/09  -  BD
ISBN : 9782723465038
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Laurent Lavadou   - le 31/10/2017

New Harlem 2 - Rétro-cognition

La série des Uchronie[s] est maintenant bien entamée et délivre au compte-gouttes les secrets de ses rouages. Les trois réalités de la ville destinées à se dénouer dans un dixième et ultime tome reposent chacune sur un système et une civilisation bien distincts et établis. Depuis Résistances (New Byzance tome 2), on devine que Corbeyran exploite subtilement les nœuds de l’histoire, des embranchements chargés d’une telle énergie qu’ils peuvent générer plusieurs continuités historiques. Une des principales clés de l’uchronie politico-sociale, comme l’a si bien utilisée Alain Bergeron (Le huitième registre - Corps-machines et rêves d’ange, Moutons Électriques, 2008).
Dans Rétro-cognition, c’est l’élection de Luther-King en 1960 (voilà qui ressemble à de la prescience vu l'actualité…) qui constitue le nœud de New Harlem. Et Zack pourrait bien être à l’origine d’un autre embranchement.

Zack le poissard…

Bien sûr, en faire baver à son héros, c’est le but de tout auteur. Et Corbeyran s’y prête avec délectation.
À ce stade de la série New Harlem, Zack Kosinski se met à ressembler à un douloureux mélange de Jack Bauer et de Causette : alors qu’il a été vendu par ses parents à l’âge de cinq ans, il passe en peu de temps de préscient haut placé au stade d’otage de ses parents (qui lui coupent même un doigt !). Au dénouement de son rapt, ces derniers meurent. Rétro-cognitif, Zack doit maintenant fuire le système pour lequel il est devenu une menace. Trahi par sa meilleure amie Graziella et par Miller à qui il s’était confié, il est finalement arrêté pour le meurtre du magnat de l’immobilier Tyrone Brown… pour être libéré lors d’une évasion musclée organisée par la Fraternité Blanche !
Voilà une âme en peine qui fait une recrue toute désignée pour la Fraternité Blanche, ennemi juré du Black Order au pouvoir : Bob, son avocat, le destine à être le bras « politique » de l’organisation clandestine. En révélant le fameux passé dont il a les visions et que le Black Order a jusque là étouffé, Zack pourrait bien déstabiliser le régime mafieux en place.
Mais c’est sans compter le téléscopage des réalités : les choses se compliquent lorsque Charles Kosinski (le père de Zack) et Sarah Brown (la fille de Tyrone) sont retrouvés dans Central Park en pleine nuit, en de drôles de tenues. Mais Charles Kosinski est censé être mort dans la réalité de New Harlem, et Sarah est censée être dans le coma depuis une vingtaine d’années. Ce sont en fait le Kosinski (Hassan) et la Tia de New Byzance !

Une orchestration millimétrée

Le jeu des intérêts des uns et des autres est plutôt bien vu et l’imbroglio entre recherche scientifique et motivations politiques fonctionne bien. Corbeyran excelle dans la construction d’une intrigue stratégique solide et cohérente. Les références à notre réalité, les clins d’œil cyniques et des dialogues fluides et savamment dosés dans le jeu des cases fonctionnent à merveille. Si bien que le dessin passe presque pour secondaire, tant le scénario monte en puissance.
Seule ombre au tableau : la base scientifique au cœur du scénario manque un peu de consistance : des molécules de matière sombre et d’énergie noire injectée dans les veines du professeur et qui le font passer d’une réalité à une autre… c’est moins convaincant qu’une DeLorean qui voyage dans le temps… et pas à la hauteur de l’intrigue politique ! Mais c’est pour la bonne cause : car faire revenir d’une autre réalité les doubles de personnages qu’il a très judicieusement fait mourir auparavant dans leur propre réalité (oui, c’est obscur…), c’est gonflé mais ça marche !

Les dessins toujours aussi épurés de Tibéry conservent leur efficacité et leur justesse. La mise en scène des cases est plutôt bien synchronisée avec le rythme du scénario. L’album dispose d’une réelle fluidité qui procure une lecture plus qu’agréable : le couple Corbeyran – Tibéry fait preuve d’une belle maturité.

Autant dire que si certains lecteurs commençaient à décrocher de la série (rythme un peu lent), Rétro-cognition insuffle ce qu'il fallait de suspens et concrétise l'attente suscitée dans les albums précédents.

Et ça tourne !

L’exercice d’équilibriste auquel se livre l’auteur entre les trois séries-réalités commence à trouver un rythme et un sens du mystère savoureusement proches de techniques cinématographiques… On en viendrait presque à regretter que tout cela se déroule aussi vite tant le développement des implications socio-politiques pourrait donner un sens bien plus profond au scénario…
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