Les Rues de sable

Paco Roca est un auteur de BD espagnol. Également illustrateur, il démarre sa carrière BD en 1996 dans le magazine espagnol Kiss Comix, puis dans El Vibora. Sa première BD à paraître en France est Le Jeu lugubre (2002, Erko), hommage à Salvador Dali. Suivront Les Voyages d'Alexandre Icare (2003, Erko), Le Phare (2005, Six Pieds sous Terre), et surtout Rides (2007, Delcourt), BD sur la maladie d'Alzheimer qui lui vaudra le Prix National de la Bande Dessinée espagnol, et qui est en cours d'adaptation au cinéma.

Les Rues de sable, toujours chez Delcourt, se place d'emblée sous le parrainage de Lewis Caroll pour nous conter une fable surréaliste et initiatique.

Des rues sans fin

Un jeune homme rêveur flâne dans un magasin de bandes dessinées lorsque sa petite amie, furieuse, l'appelle : il a oublié le rendez-vous avec le banquier pour le prêt immobilier. Soumis à un ultimatum, il se précipite vers la banque et emprunte un raccourci par la vieille ville pour gagner du temps. Sauf qu'il se perd en chemin et ne parvient pas à sortir de ce quartier qui semble à l'abandon. Entrant dans un hôtel, il va rencontrer une galerie de personnages étranges qui vont lui révéler qu'il est impossible de sortir de ce quartier.

L'absurdité comme seule règle

Lire Les Rues de sable, c'est entrer dans un univers baroque, surréaliste, où l'absurdité règne en maître : un quartier dont on ne peut sortir, une tour prétendument infinie, un homme qui vole l'identité des autres, le temps qui file sans que l'on s'en aperçoive... Chaque page révèle son lot de surprises, d'idées originales et amusantes, de fantaisie. Fantaisie qui correspond au personnage principal, archétype du jeune homme qui n'ose pas s'engager, qui fuit ses responsabilités quotidiennes et matérielles, qui se sent perdu dans un monde trop concret... le quartier fait alors office de miroir de sa psyché, de représentation de sa quête d'identité.

Lors de cette quête, il va rencontrer des personnages aussi perdus que lui, habitants involontaires, comme lui, d'un quartier aux allures de prison. Ils semblent enferrés dans un cycle sans fin, prisonniers de leurs manies, de leurs jérémiades, de leurs obsessions. Entre le vieil homme qui prépare son évasion mais la remet sans cesse au lendemain ; la postière muette qui écrit les lettres qu'elle transporte ; la réceptionniste qui ne parvient pas à prendre du repos ; l'homme qui dort dans son cercueil, attendant la mort depuis toujours... Chacun est pris par ses occupations anodines et insensées, incapable d'ouvrir les yeux et de laisser libre cours à ses envies. Le temps semble les aveugler et ne pas leur laisser la moindre opportunité de s'échapper.

La construction du récit suit l'état d'esprit des personnages : premières scènes dynamiques pour répondre à la panique du personnage principal, suivies d'une certaine nonchalance dans la narration lorsqu'il découvre l'univers figé des rues de sable, avant d'enchaîner sur un final haletant.

Un dessinateur de talent

Pour illustrer cette fable surréaliste, Paco Roca nous gratifie d'une architecture magnifique. Tout en gardant un trait réaliste et en respectant les perspectives, il parvient à donner un aspect étrange à ses bâtiments. La colorisation y est pour beaucoup : à chaque ambiance, Roca associe des couleurs dominantes qui guident le lecteur : des couleurs vives pour le monde réel, des couleurs sombres pour les rues de la vieille ville, un rouge pulsant pour l'hôtel, un jaune soleil pour les scènes en terrasse...

Mais Roca n'est pas qu'un bon technicien, et il donne à ses personnages chaleur et personnalité, campant avec discrétion des expressions variées et humaines, les rendant au final très attachants.

Paco Roca compose, avec Les Rues de sable, un récit allégorique captivant sur la liberté, sur l'importance de briser les chaînes du quotidien pour réaliser ses rêves. Pas forcément très original, mais admirablement réussi.