Sans fil, et autres récits de science-fiction

Qui se doutait que Rudyard Kipling, en plus d'être l'auteur de Kim et du Livre de la Jungle, avait aussi sévit dans la  science fiction ? L'idée est étonnante mais seulement par méconnaissance de l'œuvre de cet écrivain universel. Les deuxièmes journées interdisciplinaires sciences et fictions de Peyresq en mai 2008 lui ont même été consacré et ce livre Sans Fil et autres récits de science fiction s'inscrit en fait dans la lignée de ce colloque. Il rassemble aux éditions du Somnium huit poèmes et nouvelles tous tournées vers la SF et tous inédits en français jusqu'ici. Une révélation...

« En cas de doute, tenez bon ! »

La première des quatre nouvelles qui nous est proposée s'intitule Sans fil. Elle raconte comment un pharmacien et ses amis passent au début du XXème siècle une soirée à faire une expérience de radio et à essayer de se parler à distance. Alors qu'ils s'enfoncent dans la nuit, un étrange d'évènement survient alors que l'un d'eux s'est endormis. Il semble s'animer et débiter un discours qui n'est pas le sien... Un phénomène insolite qu'ils auront bien du mal à expliquer. Voici une nouvelle qui flirte avec le fantastique. Un peu longue, elle a le mérite de nous replonger dans une période où les hommes essayaient de maîtriser les ondes radios. Écrite en 1902, elle est évidemment datée mais n'en possède pas moins un charme plutôt désuet.

La deuxième nouvelle nous emmène dans de drôles de dirigeables en 2065. L'état de l'Illinois du Nord a décidé de faire sécession. Aussitôt trois inspecteurs du Bureau de contrôle des airs se rendent sur place avec pour mission de faire la lumière sur les plaintes de violation de la vie privée qui émanent de cet état. Une nouvelle qui date de 1912 et qui permet à Kipling non seulement de faire un peu de prospective en matière de technologie avec ses étranges engins volants, mais aussi de discourir sur la démocratie et la progrès.

Le Navire qui trouva sa voix est une nouvelle elle aussi totalement étonnante. Kipling a eu l'idée de faire parler chaque élément d'un bateau qui prend la mer et qui est pour la première fois confronté à une tempête. Cela donne des dialogues assez étonnant ente le Cabestan, les barrots de pont, l'hélice, les cylindres ou bien encore les rivets. Hallucinant et assez léger.

La dernière nouvelle est sans doute l'une des meilleures. Elle raconte l'histoire d'un homme et d'une femme soumis à d'affreux cauchemars et qui en se rencontrant vont essayer de vaincre leurs angoisses. Une relation totalement asexuée va naître entre ces deux malades qui passeront des nuits à se soutenir mutuellement pour éviter de s'endormir. Un récit qui joue avec la psychologie des personnages, quelque part entre l'horreur à la Lovecraft et un embryon de psychanalyse...

Une redécouverte.

Si on passera rapidement sur les poèmes, eux aussi tirant sur la science fiction, ces quatre nouvelles nous proposent une sorte de redécouverte de Rudyard Kipling. On le voit en écrivain franchissant allègrement les barrières de genres qui n'existaient pas encore, une autre corde à son arc qui s'ajoute à celle du Livre de la jungle et de ses autres classiques. Ce qui n'est sans doute, à bien y réfléchir, pas si étonnant que ça, les auteurs de l'époque ayant une approche nettement plus décomplexée des genres. Sans doute un peu ignoré dans l'histoire de la science fiction, Sans fil lui redonne sa place, nous replongeant également dans une époque où le progrès n'était pas encore forcément vu comme un danger potentiel. Une sorte de curiosité et de réhabilitation d'un homme complexe et perclus de drames de son vivant. Et même si les textes sont un peu datés et souvent un peu longuets, on a là un recueil indispensable à tous ceux qui aiment se replonger dans l'histoire de la SF ou ceux qui voudraient découvrir une autre facette de Rudyard Kipling. On signalera également l'importance du paratexte, que ce soit la biographie de l'auteur ou les articles de Roland C.Wagner et Ugo Bellagamba. Un complément essentiel à ce livre redoutablement intelligent.