Face au succès des collections Punaise et Puceron chez Dupuis, des éditeurs de BD comme Delcourt ou Casterman ont créé leur collection BD pour ceux qui ne savent pas encore lire, mais d’autres types d’éditeur ont suivi comme Milan Jeunesse. En moins de deux ans, la collection Petit Bonum de Milan affiche déjà 7 bandes dessinées à son catalogue, dont les titres Tatoo au zoo, Souris !, Pierrot et le carnet magique, Capitaine ! Ticayou fait partie de la cuvée d’avril 2009, avec Ringo, le livreur de pizzas et Blup et Humpf. Autant dire que les bambins ne vont pas manquer de BD. Et c’est une excellente initiative pour donner le goût de la lecture, à des enfants qui découvriront tous les héros de BD plutôt à la télé que dans des livres.
Pour l’occasion, Eric Le Brun a pris la plume du scénariste, près de dix ans après la publication de deux BD dessinées avec talent (Gontrand le chevalier de la toundra et Un petit coin de paradis chez un petit éditeur, Le Cycliste). Nécessité fait loi, mais on regrette qu’il ait dû exercer ses talents graphiques dans la communication plutôt que dans la BD. Ce n’est peut-être que partie remise…
Dix ans après son premier album chez le même éditeur qu’Eric Le Brun (Louis et les joyeux vagabonds), Priscille Mahieu réussit enfin, quant à elle, à trouver du temps, au-delà des dessins de com et de ses ateliers BD, pour la création. Elle livre, cette fois-ci, un album sans parole sur un petit Cro Magnon, Ticayou, tout droit né de la passion du scénariste pour la préhistoire. Une première pierre à un édifice qui, si l’éditeur y consent, devrait s’enrichir d’autres aventures.
Le petit illustrateur préhistorique
En ramassant des branches pour un feu, le jeune Ticayou observe les traces laissées par les mammouths dans la boue. Il barbouille le sol boueux de traces de pas et de mains, avant de semer ses empreintes manuelles sur les roches et les troncs d’arbre. À son retour à la grotte, ses mains et ses pieds sales lui valent les sarcasmes d’une bande de trois enfants un peu plus vieux que lui.
Lui vient alors une autre idée : se maquiller à l’aide de branches au bout brûlé. La même bande se moque de ses peintures faciales. Il dessine ensuite sur le sol mouillé avec ses doigts, mais ses dessins sont piétinés par les trois autres enfants qui lui jettent des pierres, dès qu’il se met à pleurer.
Ticayou est plein de ressources et comme il est doué, il utilise des branches noircies pour dessiner des bêtes sauvages dans une grotte et va jouer un bon tour à ceux qui le ridiculisaient.
Le coup de crayon du petit Cro Magnon
Le scénario est simple, c’est celui d’un petit malin qui invente des activités nouvelles, mal accueillies par les autres enfants, et qui se sent rejeté. Il finit par utiliser ses dons graphiques pour leur faire peur, mais aussi par utiliser leurs frayeurs pour faire éclater son talent. La victoire de l’imagination et de l’inventivité sur la pression de la norme. Dans le même temps, Ticayou découvre à lui tout seul le pouvoir de l’image, dans les traces, dans les symboles et dans la représentation de la réalité. Il invente le dessin, l’écriture, la mise en son (il imite le cri des animaux dessinés) pour impressionner ceux qui l’excluent. C’est une sorte d’abrégé de la naissance des arts graphiques et une incitation à dessiner pour les tout petits. Les enfants apprécieront la morale de l’histoire : la nature recèle de trésors qu’il ne faut pas hésiter à décrypter, ceux qui se moquent s’exposent aux moqueries, celui qui a du talent doit persévérer malgré les critiques et utiliser son talent comme une arme, celui qui cultive son talent et qui a des idées gagnera la reconnaissance de la société (les adultes).
Le scénario est un peu lent. On se dit que quelques cases en moins par-ci, par-là, n’auraient pas dévoyé le propos, mais il est destiné à des enfants de 4 à 6 ans, que les répétitions ne dérangent pas forcément. Le découpage est clair. En termes de rythme, on a un peu la sensation d’une succession d’histoires qui se terminent par des vexations pour Ticayou, jusqu’à la victoire finale (les dessins dans la grotte). Les cadrages sont simplissimes. Le nombre de cases varie de une à six par page.
Les dessins sont aérés. Les traits sont sobres. Presque minimalistes pour les personnages de second plan. Ticayou a des allures manga (tête démesurée, gros yeux, sourires dentés ou bouche ouverte ovale), mais ce sont les seuls emprunts au genre. Ticayou tranche un peu avec les autres personnages, par ses proportions (tête/corps), comme s’il était le seul à avoir réellement une âme d’enfant, et par ses attitudes. Les autres corps plus longilignes sont souvent courbés et plats, sans profondeur. Les visages sont souvent fendus par une courbe du nez en croissant de lune et les cheveux constituent les seules lignes polygonales.
La tonalité photographique est cohérente du début à la fin de l’album. Les tons de Gildo évoquent la terre et l’automne. Ocres et marrons jaunis. Orangé pour les cheveux roux de Ticayou. Le ciel est à peine bleu. Les ombres, légères, donnent à peine du relief aux personnages. Elles contribuent à varier les couleurs et donnent paradoxalement un aspect plus chaud au dessin.
Globalement, le style graphique paraît aussi simple et léger qu’il est peu original. Il a le mérite de rassurer le jeune lecteur dès la première page. Le processus d’identification au petit Cro Magnon est d’autant plus facile que les dessins sont pratiquement toujours centrés sur le petit personnage.
Un labyrinthe et un jeu d’ombre en début et en fin d’album seront particulièrement appréciés des enfants.