Hellheim
Hellheim est l’intégrale d’un dyptique publié par Grand Angle, dont le tome 2 n’est manifestement jamais paru en volume unique ; à l’occasion de cette intégrale, l’option noir et blanc a été adoptée et la colorisation du premier tome s’est évanouie dans l’air tel le premier pschitt de la bombe d’un graffeur avant qu’il n’entame sa composition murale.
Paul Oliveira, déjà connu pour une première série, Judith, officie au scénario, tandis que Jean-Philippe Baradat, dessinateur autodidacte, est chargé du graphisme.
Mondes parallèles
Carol Ann Lewis est une adolescente mal dans ses bottes, coincée entre une mère dépressive, l'abandon d'un père et des séances de psy qu’elle juge inutiles. En proie à des cauchemars quotidiens, elle est également le souffre-douleur de ses camarades. Sa vie prend une tournure radicalement différente quand sa mère vient à mourir. Son père refait alors surface, manifestement porteur d’un lourd secret, et l’emmène dans sa boutique d’antiquaire, où sont exposées d’étranges statues dont certaines, sur lesquelles planent une aura de mystère sensiblement obsédante, ne sont pas à vendre.
C’est justement en touchant l’une de ces statues, nommée Passage, que Carol bascule dans un monde alternatif, celui de ses cauchemars. Cauchemars qui peuvent alors réellement commencer, car cet ailleurs a un furieux goût de futur dystopique, où les individus cachent derrière des masques les escarres suintantes provoquées par une mystérieuse maladie cutanée… Carol est arrêtée puis amenée auprès du despote, très versé dans les arts délicieux de la violence et de la fornication non consentie – surtout pour l’une… De son côté, le père de Carol dépêche un homme manifestement lié à lui par une dette et capable lui aussi de pénétrer l’autre monde, afin de délivrer sa fille. Ainsi est lancé ce premier volume, et nous n’en dirons guère plus afin de ne pas déflorer l’intrigue. Le récit alternera entre plusieurs séquences situées dans le deux mondes, car plusieurs voies sont possibles pour se déplacer de l’un à l’autre…
Un graphisme noir et blanc résolument sobre...
Le graphisme est résolument sobre, et sa caractéristique tient dans un effet crayonné dont la nature varie d’un volume sur l’autre ; en effet, dans la seconde partie, les dessins sont beaucoup plus riches en traits de construction, leur conférant un aspect esquisses auquel tous les lecteurs ne pourront adhérer. De relativement bonne facture dans l’ensemble, le graphisme demeure irrégulier. On regrettera çà et là un manque de dynamisme dans le trait – et son corollaire, des scènes beaucoup moins percutantes qu’elles ne devraient l’être –, des expressions faciales pas assez poussées, et, plus grave, qui ne reflètent pas forcément l’âge du protagoniste. Carol Ann en est l’exemple le plus criant, elle qui arbore par moments le faciès d’une trentenaire – et nous citerons pour exemple, la scène de l’avion où, en toute franchise, on se demande si Carol n’est pas en réalité la mère de son père. Nous passerons également sur le fatras de bulles désorganisées où il est difficile par moments de se repérer. Malgré ces imperfections parfois assez prégnantes, le dessin a de quoi séduire.
... pour un scénario dense
Le second tome dévoile plus en détail le background assez dense de cet univers si particulier, qui nécessiterait presque deux lectures. On va faire simple – il y’aurait plus à dire, mais au risque de spoiler abondamment : on apprend grosso modo comment le souverain s’est trouvé éjecté du trône par ses deux fils, aux tempéraments radicalement différents mais partageant le même goût du pouvoir. D’autres personnages ont un rôle extrêmement important dans l’histoire, notamment les sorcières et sorciers investis de puissants pouvoirs. Les pièces du puzzle s’assemblent progressivement jusqu’au final résolvant la situation des personnages clés – au nombre de quatre à six, c’est selon, mais force est de constater que le scénariste, en détaillant l’histoire de son monde alternatif, ne s’est pas contenté de faire porter le poids des événements à un seul protagoniste érigé en Riddick sous amphèt’ ; cela amène une complexité bienvenue.
Une bande dessinée assez dense, donc, dotée d’un scénario complexe relativement à la faible durée de vie de la série et d’un dessin N&B assez sobre. À réserver en priorité aux familiers de récits science-fictifs et d'univers parallèles...