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Fournaise

Damien Venzi (Illustrateur de couverture), James Patrick Kelly ( Auteur), Christophe Duchet (Traducteur), André-François Ruaud (Traducteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/09  -  Livre
ISBN : 9782070346530
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Arkady   - le 20/09/2018

Fournaise

« L'explosion jaillit en deux longs jets de flammes, dans deux directions opposées. L'une monta très haut dans les arbres, l'autre frappa le sol forestier et s'agglutina en une mare incandescente à ses pieds. Elle hurla et la grenade tomba de sa main carbonisée. De grandes langues de flamme lui léchèrent les jambes. Son pantalon prit feu, ses cheveux se recroquevillèrent et disparurent. »

Un étrange conflit règne sur la planète Walden, une planète insignifiante des Mille Mondes. Les colons acheteurs de ce monde ont décidé d'en faire un terreau du retour à la nature – sa nouvelle appellation, Walden, ayant été choisie en référence et hommage à l'ouvrage du même nom de l'écrivain Henry David Thoreau. Cela n'est pas du goût des Pukpuks – les locaux et précédents colons - qui résistent à cette terraformation en déclenchant des incendies dans les forêts nouvellement implantées, quitte souvent à s'immoler eux-mêmes dans ces fournaises.

Fournaise s'attache au court épisode de la vie d'un des citoyens de l'État Transcendant de Walden : Spur - Prosper Grégoire Leung de son nom complet. "Formaté" pour l'existence au sein d'un monde revenu à des valeurs terriennes, et pompier de formation, Spur va voir ses convictions personnelles et innées remises en cause. Son meilleur ami meurt, sous ses yeux, dans une fournaise ; la rupture avec sa femme approche ; un personnage éminent des Mille Mondes, Phospor Grégoire L'ung – le Haut Grégoire, Phosphorescence de Kenning, énergisé par la Tortue de Radiation Éternelle de son nom complet – débarque dans la petite bourgade de Spur, intrigué des curieux affrontements qui enflamment Walden. La venue de ce dernier a été provoquée par Spur lui-même, qui s'était juste amusé à prendre contact avec lui du fait de la ressemblance entre leurs patronymes respectifs.

Sélectionné au prix Hugo 2006 [et alors ?]

Fournaise est le premier roman traduit en français de James Patrick Kelly, qu'on a déjà pu découvrir au travers d'une dizaine de nouvelles éparpillées dans diverses revues et anthologies. On doit cette première apparition à la brièveté du texte (et donc au faible coût de sa traduction) et à sa nomination au prix Hugo 2006 – pour ce que ça vaut. Kelly est un auteur plutôt réputé outre-Atlantique, voici enfin l'occasion de jauger de cette renommée sur un récit plus consistant.

Dans Fournaise, Kelly s'attache à la petite destinée de son héros ; il distille très peu d'informations sur l'arrière-plan, sur ces fameux Mille Mondes et même sur les personnages extérieurs à Walden comme L'ung et son cortège. Ce choix représente déjà un point agréable au sein d'une foison de *nouveaux* space opera indigestes et interminables. Notons toutefois que la taille du roman a été imposée à Kelly par son éditeur.

Passons rapidement sur les caractéristiques formelles du récit, notamment un style très sec qui s'avérerait vite ennuyeux si Kelly ne faisait pas acte d'un ton décalé, principalement dans les dialogues, qui rend la lecture plaisante et rapide. L'intérêt de Fournaise réside surtout dans les idées qu'ils véhiculent. Kelly y prend en effet le contre-pied de l'hypothèse de départ classique en science fiction des envahisseurs civilisateurs menaçant le paisible équilibre naturel d'indigènes rebelles. La technologie contre la nature. Là, c'est l'inverse, la nature est réimportée par les nouveaux colons et imposée aux colons originels qui soit sont contraints de rentrer dans le rang, soit résistent et défendent chèrement leur "monde futuriste".

Feu de broussaille

Si ce point de départ séduit, Kelly en reste malheureusement là. À un simple point de départ. Il préfère s'attacher à ses personnages – globalement réussis – qu'il balade d'une situation à l'autre, où est davantage privilégié le rocambolesque. La maigre tension dramatique du climax ne convainc d'ailleurs pas ; Kelly ne prend pas assez de temps pour approfondir son sujet et pour donner un vrai sens à son récit, s'appesantissant trop sur des petits détails inutiles à l'intrigue (la culture des pommes par exemple). On peut également s'ennuyer de l'absence de véritables rebondissements dans le déroulement de l'histoire – les twists sont soit attendus (le rôle de Confort), soit inexploités (une révélation finale sur les Pukpuks).

Les amateurs d'Ursula Le Guin devraient néanmoins apprécier ; ils retrouveront dans Fournaise un négatif du Nom du monde est forêt avec un principe similaire d'affrontement de deux thèses sociales et politiques, vu au travers du prisme de personnages soignés. Cependant, qu'ils soient prévenus que la réflexion ne va pas loin. James Patrick Kelly semble juste avoir voulu mettre en perspective et/ou en question l'idéologie du retour à la nature, à laquelle il ne paraît pas adhérer. Mais il n'a pas osé s'y frotter personnellement, en restant très distancié vis-à-vis des thématiques qu'il soulève. Il n'aborde par exemple jamais une cohabitation raisonnée des deux cultures, privilégiant vers la fin, l'idée d'un libéralisme spatial. Il est cependant assez difficile d'y voir clair sur les aspirations personnelles de Kelly à la lecture du seul Fournaise.

Au-delà de la confrontation nature/technologie, Kelly a aussi voulu aborder une certaine fascination de l'humanité pour le feu et participer de sa pierre à la tendance actuelle autour de la singularité (http://www.jimkelly.net/pages/Fournaise.htm). Dans les deux cas, c'est raté. Les fournaises prennent peu de place dans le roman et se révèlent guère stimulantes - ce dernier point est peut-être dû à une traduction assez timide dans l'ensemble ; à aucun moment, le lecteur n'est confronté à cette ambiguïté danger/fascination associée au feu. Quant à la singularité, je cherche encore ce que l'auteur a voulu mettre en œuvre (les Mille Mondes feraient office de singularité aux yeux de Spur ? Vu comme ça, Hercule à New-York c'est aussi un must-read sur la singularité…).

Glop ou pas glop ?

Conclusion glop : Fournaise est un roman sympathique, qui change un peu des blockbusters de la science fiction classique. Il soulève par ailleurs quelques idées intéressantes à intégrer dans une optique plus large de réflexion sur l'anticipation ethnologique en science fiction.

Conclusion pas glop : Fournaise est sympathique, mais ne tient aucune de ses promesses. Les thèmes abordés ne sont qu'abordés ; l'histoire d'amour mourante qui soutient le récit et qui est censée rendre le héros attachant ne présente pas d'adhérence avec les faibles réflexions suscitées. Fournaise reste à l'image de la science fiction actuelle : complètement inoffensive et sans emprise sur la réalité.

Au final, on lira Fournaise si on peut débourser 13 euros pour un roman d'envergure mineure - ou si on maîtrise l'anglais, car il est téléchargeable gratuitement sur le site de Kelly ; ce qui épargnera les picotements oculaires provoqués par une exposition prolongée à la couverture.(1)

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