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Le Saigneur de Tiffauges

Angélique Césano (Coloriste), Eric Corbeyran (Scénariste), Horne (Dessinateur)
Aux éditions : 
Date de parution : 24/02/10  -  BD
ISBN : 9782302008823
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Christian   - le 31/10/2017

Le Saigneur de Tiffauges

Popularisé par la série Jhen et l’album des Voyages de Jhen que Jacques Martin et Jean Pleyers lui ont consacré, Gilles de Rais, ce Barbe-bleue médiéval, compagnon de Jeanne d’Arc, tueur d’enfants en série, a tout pour plaire. La simple évocation du seigneur de Tiffauges transforme une histoire de kidnapping en un conte fantastique cruel et pervers. Alors quand Eric Corbeyran, hyper-scénariste qui collectionne les séries quand d’autres collectionnent les albums (pas loin de 80 séries à son actif), s’empare du sujet, l’album fait peur. Subtilité oblige, le scénariste ne nous entraîne pas dans un bain de sadisme gore, mais plutôt dans une atmosphère suffocante à la David Lynch, dont on ne sort pas indemne.

Le résultat est  saignant : des disparitions, des enfants maltraités, un inspecteur, Gilles Deray, qui, même s’il conduit l’enquête à la première personne, n’inspire pas une grande confiance. Des références au passé qui relient l’histoire au vrai seigneur de Tiffauges. Un thriller ensanglanté qui baigne entre conte et réalité, entre fantastique et horreur et dont l’issue, désespérée, est plus rouge et noire que du sang coagulé.

Sur les traces écarlates de Barbe-Bleue

Octobre 2007, un couple et ses deux jeunes enfants arrêtent leur voiture à l'orée d'un bois pour pique-niquer. Alors que la fille et le garçon jouent bruyamment derrière les arbres, les parents s'inquiètent soudain quand la forêt devient silencieuse. Partis à leur recherche, ils trouvent la casquette ensanglantée du petit Rémi et la petite Océane, muette de terreur.

Octobre 2008, une classe visite le laboratoire d'un alchimiste près du château de Tiffauges. La maîtresse recherche Nicolas qui a disparu et dont on retrouve le cartable sous la pluie. L'inspecteur Deray est chargé de mener l'enquête, baignant dans le conte de Barbe-Bleue que sa femme lit à son fils. Sur la piste d'une vieille aperçue par le chauffeur du car peu avant la disparition, l'inspecteur visite les caves du château du Barbe-Bleue historique. Il entre alors en contact émotionnel avec le passé et va apprendre à ses dépens ce qu'il en coûte de s'attaquer à l'ogre sanguinaire.

Un album bas en couleurs

La couverture annonce la couleur : elle est sombre, quasiment noire, éclairée à hauteur de main par le sang rouge dégoulinant des jeunes victimes. Le récit est construit comme un épisode de la quatrième dimension mais avec, cerise rouge sur le château, une fausse piste autour de l'inspecteur. Un scénario propre, oscillant entre deux époques. Même si elles sont parfois convenues, les allusions au genre Serial Killer et à l'ogre de Tiffauges restent efficaces. De vrais crimes et du boulot de pro.

Le dessin réaliste de Horne est, lui aussi, propre, aussi bien dans les décors, dans le cadrage que dans les postures des corps. Il a une touche naturellement fantastique dans les visages peu ordinaires des adultes et les yeux ronds des enfants. La couleur, en revanche, pose problème (ce qui n'était pas le cas dans l'album du Maître du jeu qu'il avait également cosigné avec Corbeyran). Elle se marie mal avec l'ombrage à l'encre du dessinateur. Les planches auraient manifestement gagné à rester en noir et blanc. Sur les visages et les corps, les couleurs donnent l'impression de déborder et de venir en contradiction avec l'encrage des traits, donnant du volume là où il n'en fallait pas et effaçant des partie que le blanc mettait en valeur. Elles finissent par donner le sentiment que le dessin n'est pas soigné. Il aurait été plus fort de conserver le blanc et noir et de n'ajouter que du rouge, là où c'était nécessaire.

Mais, finalement, le plus gênant dans l'histoire, c'est le parti pris de l'album, «l'histoire vraie de Barbe-Bleue, le premier serial killer ». Pourquoi replonger de nouveau dans l'univers fantastique de Gilles de Rais pour évoquer le sordide qui peut surgir au coin de la rue, au détour d'un Van Geloven, d'un Guy Georges ou d'un Marc Dutroux ? L'invocation de Barbe-Bleue pour des crimes en série est tirée par les cheveux et cumule deux poncifs bien rebattus (Gilles de Rais et le serial killer). La dimension fantastique et la tension dramatique sont largement suffisantes sur une série insolite de meurtres d'enfants pour se passer d'un parallélisme peu crédible. L'intérêt de l'album serait très limité, s'il n'était transcendé par le talent des auteurs.

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