stephaneg
- le 31/10/2017
Margot la folle
Avant d'être une bande dessinée, Margot la folle est un tableau de Pierre Bruegel, peintre flamand du XVIe siècle. « L'Ancien », comme il est parfois surnommé, est l'auteur d'une œuvre étonnante, qui se démarque de celle des artistes de la même époque, pont entre la peinture du Moyen Âge et celle de la Renaissance. Les tableaux de Bruegel sont donc bien connus, tels que La Tour de Babel, Le Repas de noce ou Les Chasseurs dans la neige. Margot la folle, pour sa part, est moins célèbre. Il met en scène une femme, progressant dans un décor hallucinant identifié comme les portes de l'Enfer et peuplé de créatures étonnantes. Qui est Margot la folle ? Fuit-elle la demeure du diable, où s'y dirige-t-elle ? Les experts n'ont pas de certitudes. Une bonne raison, pour Muriel Blondeau, de s'approprier le tableau et son personnage principal pour en donner sa propre version...
Une folle mais passionnante aventure
Le tableau de Bruegel est reproduit par Muriel Blondeau dans la dernière case de la dernière planche de l'album, dans son propre style et avec seulement quelques modifications. La transformation de Margot, paysanne flamande habitant un village dont les occupants ont été décimés par la peste, en guerrière à l'air déterminé de la peinture est le fruit d'une série d'événements improbables, que nous conte Muriel Blondeau en cinquante-six trop courtes pages. La dessinatrice belge, qui a plus de dix ans d'expériences dans l'enseignement de cette discipline, réalisatrice de livres illustrés et de la bande dessinée Monstrueuse parade, y laisse son coup de crayon prendre ses aises. Son trait, libéré, dessine des planches où tout est conçu pour déstabiliser le lecteur et ne pas le laisser pratiquer une lecture traditionnelle. Chaque planche est une nouvelle surprise, au découpage inédit, faisant apparaître des créatures farfelues – tirées des œuvres de Bruegel – et entraînant la vieille Margot un peu plus profondément dans la folie, ou du moins ce qui semble l'être.
Affrontant mille dangers pour retrouver son homme, qu'une horde de squelettes au service de la Mort a enlevé, Margot rencontrera ainsi une troupe de joyeux mercenaires, croisera des coffres et des tirelires, visitera des lieux tout droit sortis d'un véritable délire, telle une ville proverbiale ou une impressionnante tour de Babel. Le lecteur, qui peut avoir des difficultés à accrocher au style débridé de Blondeau, se laisse rapidement happer par l'aventure déjantée que l'auteur lui propose. Au fil des pages, le talent de dessinatrice de cette dernière éclate, tant la maîtrise de son sujet, de la folie de ses traits, de la mise en page, de la mise en scène est évidente. Rythmée, entraînante mais aussi émouvante, l'histoire qu'on nous conte convainc que Blondeau sera dorénavant l'objet de toute notre attention.
En s'appropriant une œuvre d'un artiste immensément connu tout en lui rendant un brillant hommage, Muriel Blondeau signe une bande dessinée d'une rare fraîcheur, dépaysante et fascinante.