Icelander
Dustin Long est inconnu du grand public, tout comme d'un lectorat français plus averti. Et pour cause : ce New-Yorkais né en 1977 signe avec
Icelander (paru aux États-Unis en 2006) son premier roman, salué par la critique. Il est aujourd'hui publié en France aux
éditions Asphalte, maison dont le catalogue s'étoffe petit à petit, depuis sa création en 2009, de romans de fictions des quatre coins du monde et de recueils de nouvelles noires.
Investigate or not investigate: that is the question ! « Notre héroïne » est la fille d'Emily Bean, célèbre enquêtrice dont les mémoires ont été adaptées avec succès par un écrivain renommé, Magnus Valison. Alors que la fête annuelle honorant sa défunte mère bat son plein à New Crúiskeen, Shirley McGuffin, la meilleure amie de Notre héroïne, est retrouvée assassinée. Tout le monde s'attend à ce que la fille de la grande Emily Bean mène l'enquête et découvre le coupable de l'assassinat de cet écrivain travaillant sur une version inédite d'Hamlet. Mais Notre héroïne n'en a pas l'intention, et si Garm, son teckel, n'avait pas fugué en ce jour maudit de la fête d'Emily Bean, elle serait bien restée au chaud chez elle, loin de l'agitation, de Wible & Pacheco, les enquêteurs « philosophiques », des guerriers Refurserkir de Gurd, reine du royaume souterrain islandais de Vanaheim, et de tous les autres protagonistes récurrents des aventures de sa mère.
Dustin Long, auteur facétieux Le lecteur qui ne saute pas les préfaces des romans découvre, au début de Icelander quelques explications de « l'éditeur original du roman » . Celui-ci, tout au long du roman, fournit grâce à des notes de bas de page, des compléments d'informations destinés à éclairer le lecteur sur les références à l'œuvre de Magnus Valison, célèbre auteur de romans policiers, que la série des Mémoires d'Emily Bean a rendu populaire. Un Dramatis personæ, qui complète cette préface, présente les personnages principaux, à l'usage du lecteur évidemment largué par sa méconnaissance des écrits de Valison. Au passage, cet « éditeur » prend toutes les précautions légales nécessaires, puisqu'il prétend que ce sont des personnalités existantes qui sont mises en scène par Dustin Long.
L'histoire peut alors commencer, par un long prélude qui fait entrer le lecteur dans l'univers bourré de références aux aventures de la mère de Notre héroïne. C'est dans cette partie que l'auteur, vicieusement dissimulé sous une fausse identité, fournit le maximum d'éléments destinés à tromper le lecteur en lui faisant croire à l'existence de Magnus Valison. Ce dernier, vous l'aurez compris, n'existe pas, pas plus que Les Mémoires d'Emily Bean, et les personnages du roman n'ont pas plus d'existence réelle.
« Merci pour la surprise » persiflera sans doute le lecteur de cette chronique, à qui nous venons de révéler un élément d'ambiance important du roman. Que nenni ! Le lecteur naïf pourra mettre quelques dizaines de pages avant de se rendre compte de la supercherie, car Dustin Long finit par se trahir par quelques notes de bas de page – probablement volontairement – maladroites. Les nombreuses tergiversations de l'auteur, les longues notes de bas de page, peuvent en effet décourager le lecteur de poursuivre la lecture d'un roman qui fait bien trop référence à l'Œuvre inconnu d'un auteur dont il n'a jamais entendu parler.
Il aurait pourtant tort. Aussi il vaut mieux qu'il sache dès le début qu'il tient entre les mains un roman construit de manière originale et que l'invention par son auteur d'un univers dense autour de ses personnages, d'une supercherie visant à l'ancrer dans le réel, est destiné à lui donner un statut de méta livre. Avec Icelander, Dustin Long mène donc un projet littéraire comme on en voit assez peu et c'est dans cette perspective que son livre révèle toute sa valeur.
L'auteur, nous l'avons compris, réussit parfaitement à donner à ses personnages, à ses décors, un passé et une existence qui vont au-delà de ce qui est décrit dans le roman. Dustin Long parvient véritablement à produire un roman qui s'insère dans une saga policière qu'il n'aura pas à se donner la peine d'écrire, mais dont on pourrait aisément croire à la réalité. En ne nommant jamais son héroïne, l'auteur nous la rend familière ; en ne ratant jamais une occasion de rattacher les événements se déroulant à New Crúiskeen à un épisode des aventures policières d'Emily Bean, en insistant sur la filiation généalogique des personnages entre eux, il produit un Œuvre autour de l'œuvre, imposante malgré son inexistence.
Ce qu'il construit, l'auteur s'en sert autant pour rendre hommage que pour chatouiller les sagas policières mettant en scène des détectives astucieux – ou autre épithète héroïque –, dont les aventures courent sur des dizaines de volumes, poursuivies par celles de leurs enfants, de leurs neveux et nièces ou n'importe quelle autre partie de leur arbre généalogique, voire même, pourquoi pas, s'il y a des gens pour les lire, de leurs animaux de compagnie. Garm, le chien de Notre héroïne est ainsi le petit fils de Fenris Le Teckel, fidèle compagnon canin d'Emily Bean, et personnage emblématique de cette famille d'enquêteurs. Un peu moqueur, Dustin Long ? Évidemment. D'autant qu'il se place dans cette position – usurpée et ironique – de l'auteur prenant la suite d'un écrivain connu, autant par hommage que parce qu'il faut bien manger, ou à la demande d'ayants droit qui aimeraient bien mettre du beurre dans les épinards laissés par l'arrière-grand-père.
Bref. Dustin Long signe un roman étonnant, amusant, voire même passionnant.
Toutefois, c'est un premier roman, ce qui peut être une explication à quelques imperfections...
Dustin Long peut faire mieux En fait, Icelander ne comporte qu'un seul défaut mais d'importance. Il concerne l'intrigue, en quelque sorte l'histoire qu'il nous raconte. Nous l'avons vu, Dustin Long en présente très bien les protagonistes. Il amène avec précision les différents éléments qui vont s'imbriquer pour dissiper le mystère qui entoure le meurtre de Shirley McGuffin, de manière détournée puisqu'à aucun moment Notre héroïne ne mène l'enquête, qu'aucun autre personnage ne se montre vraiment à la hauteur des événements. Toutefois, l'auteur, en parlant de meurtre et d'investigations, promet des révélations finales. Celles-ci arrivent bien, dans les cinquante dernières pages qui représentent aussi la quasi-totalité des passages traitant à proprement parler de l'affaire de meurtre. Après le Prélude qui présente les personnages, le Ludo qui donne les clefs pour comprendre les événements se déroulant à New Crúiskeen, le Cluedo raccroche les éléments entre eux, en un climax touffu et précipité.
Il est clair que Dustin Long sait ce qu'il fait en donnant à la conclusion de son histoire un ton absurde, qui ne colle pas tout à fait avec le ton décalé du reste du roman. Les multiples événements spectaculaires qui nous sont rapportés par un des personnages, et qui expliquent bien des choses tant au lecteur qu'à une Héroïne qui n'était pas au bon endroit au bon moment, forment une conclusion qui laisse donc un peu sur sa faim, qui ne convainc par totalement. En somme, il subsiste l'impression, à la fin de la lecture, que Dustin Long aurait peut-être pu faire mieux. Évidemment, tout au long du roman, les évolutions des personnages, les clins d'œil, notamment, aux romans policiers, sont plus importants que le mystère de la mort de Shirley et sa résolution. « Bâcler » la fin de son roman était sans nul doute dans le projet de l'auteur. Reste un sentiment, pour le lecteur, de légère déception.
On retiendra tout de même que Icelander est un roman plein de qualités, qui mérite le détour. Surtout, c'est un premier roman qui lance un auteur qu'il sera extrêmement intéressant de suivre dans ses prochains projets littéraires, tant il démonte, avec le présent livre des capacités d'inventions éclatantes.