Thierry Di Rollo est une voix à part dans l'Imaginaire en France. Ses récits souvent très sombres ne peuvent laisser les lecteurs indifférents tant ils les bousculent. Des lectures pas très confortables mais oh combien salutaires. Dans la noirceur qui habitent ses histoires se trouvent des questions sur l'absurdité de nos sociétés, sur notre rapport à l'autre, sur l'exploitation par le travail et la déshumanisation des travailleurs, sur la folie, sur la solitude et au final sur chacun de nous... Parmi ses œuvres les plus marquantes, on citera La lumière des morts et La Profondeur des tombes, véritables voyages vers l'enfer.
Après un relatif silence de trois ans depuis son dernier livre (Le Syndrome de l'éléphant chez Denoël), revoici Thierry Di Rollo dans le domaine du roman pour une histoire assez inhabituelle pour lui. Après avoir arpenter les sentiers de la science fiction et du fantastique, il s'essaie à la fantasy avec Bankgreen. À noter également que son prochain roman sortira dans la prestigieuse collection de la Série Noir chez Gallimard. Son titre : Préparer l'Enfer.
Le dernier de son espèce
Les derniers varaniers ont longtemps arpenté le monde de Bankgreen. Mercenaires invincibles, engoncés dans une armure qui cache leur visage, ils ont été de tous les combats, juchés sur leurs varans géants. Mais même immortels, emporté par la lassitude, ils ont tous disparu sauf Mordred, le dernier d'entre eux. Il semble qu'il ait une ultime aventure à vivre sur ce monde sans espoir...
Une fantasy à la sauce Di Rollo
Si Bankgreen est bien un roman de fantasy, il est surtout et avant tout un roman de Thierry Di Rollo. On y retrouve ses inquiétudes et ses interrogations à travers la solitude du héros ou bien encore l'exploitation des êtres dans une mine terrible. "Sur Bankgreen tout a une raison" est une expression qui parsème régulièrement les chapitres du roman. Une déclaration bien utile pour expliquer l'inexplicable. Et pourtant c'est bien une quête de sens qui est au centre de ce récit, qu'elle concerne l'existence même du varanier et son immortalité, ou les actes des dirigeants de cette planète, jouant avec leurs peuples comme avec des pions.
L'histoire apparaît presque secondaire tant les ambiances dépeintes par l'auteur sont magnifiques et parfaitement rendues. Il nous offre quelques moments de vertiges. Dès le départ, le décor est planté. Cinq hommes dans le sillage de Mordred vont devoir s'entretuer pendant le voyage qui les emmène sur un champ de bataille. Le survivant de cet affrontement pourra accompagner le varanier au cœur des combats. Ces quelques pages donnent le ton. Les cinq guerriers ne pourront pas se faire confiance, la moindre faiblesse se terminant par la mort. Ils sont seuls les uns contre les autres et les alliances seront éphémères. Quel espoir peuvent-ils avoir dans cette lutte ? Même chose un peu plus loin concernant ces rats géants travaillant dans une mine effroyable, véritables bêtes de somme conscientes à qui l'on a arraché les yeux.
Pour être tout à fait franc, j’ai toujours été sensible à l’écriture de Thierry Di Rollo et je l’ai même édité à deux reprises pour les éditions ActuSF (Les recueils Cendres et Crépuscules). C'est dire si jusqu'ici j'étais plutôt acquis à sa cause. L'attente, la curiosité et la peur d'être déçu étaient donc encore plus importantes, plus fortes que pour un autre auteur. Elles ont été récompensées. La plume est toujours là, belle dans la noirceur, pertinente dans la critique acerbe de notre monde. La quête de sens y est profonde et fondamentale, quitte à ce qu’elle supplante le récit. Je crois véritablement que c’est l’une des voix les plus intéressantes de l’imaginaire, l’un de ces écrivains auquel il faut se frotter pour son style et son univers. Qu’il s’agisse ici de fantasy importe peu. Bankgreen est d’abord un roman de Thierry Di Rollo. Ses lecteurs habituels ne seront pas dépaysés. C’est l’un de ses meilleurs livres. En tout cas après trois ans sans roman, les retrouvailles avec son monde sont réelles. Et s’il faut vraiment parler de genre, rarement un roman de fantasy n’aura eu cette profondeur et cette noirceur. Les amateurs qui s’y aventureront s’en souviendront sans doute.