Celle qui réchauffe l'hiver

De manière générale, les Inuits sont un peuple peu représenté dans les medias, quels qu'ils soient. Ce sont toutefois les habitants du Grand Nord, des banquises qui recouvrent l'hiver l'Océan Arctique, qui sont les acteurs de la dernière bande dessinée de Pierre Place paraissant dans la collection Mirages chez Delcourt. L'auteur, qui a tout juste trente ans et qui en est aujourd'hui à sa seconde BD (après Au rallye parue chez Warum), avait d'abord écrit une série d'histoires courtes, mettant en scène les membres d'une tribu inuite confrontés aux difficultés de l'existence dans les contrées gelées, mais aussi à celle que représente la cohabitation avec les esprits de la Nature, bien réels et influents dans cet univers de glace et de neige.

 

Celle qui réchauffe l'hiver invite le lecteur à découvrir ces histoires, réunies et consolidées pour n'en faire plus qu'une. Il fera ainsi la connaissance de Anki et Tagak, chasseurs qui rentrent bredouilles depuis la disparition inexplicable des phoques et des morses. Houspillées par leurs femmes, Iliapsi et Seerna, et encouragés par le reste du groupe, ils se décident à participer au rituel destiné à les transporter dans la demeure de la Déesse sous la mer. Sedna, figure de la mythologie inuite, est en effet pourvoyeuse de nourriture, mais irascible. Toutefois, munis d'un peigne, les deux hommes pourront, en lui coiffant les cheveux, apaiser sa colère. Là commencent leurs aventures, à la rencontre des esprits et de leurs pouvoirs, tout au long d'une année exceptionnelle.

 

 

Celle qui réchauffe l'hiver retrace en effet une année de la vie de la communauté inuite présentée dans l'album. L'histoire est donc divisée en chapitres correspondant aux phases du cycle solaire : zénith, crépuscule, nuit et aube, sachant que dans le Grand Nord, il y a des jours où le soleil ne se lève pas. Pierre Place raconte une histoire dont les événements font écho à l'ambiance qui règne aux différents moments de l'année. Alors qu'au zénith les Inuits réussissent à vaincre la famine qui les menace, le crépuscule annonce des malheurs qui prendront corps pendant la nuit. Mais l'aube, renaissance du soleil, de la lumière qui éclaire la vie des membres de la tribu, conclut l'histoire sur une note d'espoir. Pierre Place raconte son histoire en démontrant une capacité à utiliser les outils de la bande dessinée pour la rendre plus touchante. Il appuie par exemple l'ambiance des chapitres grâce à sa mise en couleur. Chaque partie du récit possède ainsi une teinte particulière, qui représente la couleur dominante des planches et accompagne le sentiment d'obscurité – de tension – ou de lumière – de réconfort – que l'auteur veut exprimer.

 

La mise en couleur, en aplats, est effectuée sur des planches découpées en grande cases dans lesquelles s'animent des personnages qui se révèlent rapidement sympathiques. Le trait de Place, tout en simplicité, extrêmement efficace pour représenter les paysages, les éléments de décor et évoquer le mouvement et l'action, peine toutefois à permettre la distinction entre les individus. Tous les personnages de même sexe possèdent en effet le même visage, Place ne sachant visiblement dessiner qu'un seul visage de femme inuite, et un seul visage d'homme. Il se rattrape en marquant les faces de tatouages ou de rides et le lecteur réussit donc la plupart du temps à ne pas confondre les protagonistes. Il peut alors les accompagner avec plaisir dans leurs aventures, qui, même si elles peuvent paraître tragiques au premier abord, sont empreintes d'humour. Place décrit en effet les Inuits, notamment les plus anciens, comme des êtres facétieux, qui se font volontiers des blagues. Les scènes dans lesquelles apparaissent les esprits sont également très drôles, grâce à la naïveté des représentations animales signées Place et la maladresse des serviteurs de la Déesse sous la mer.

 

 

À la fois drôle et tragique, l'histoire contée par Pierre Place ne laisse pas le lecteur indifférent. Celle qui réchauffe l'hiver démontre le talent de son auteur, qui est un acteur du neuvième art prometteur. L'histoire de Tagak et Anki, toutefois, si elle donne grand plaisir à sa lecture, ne marque pas durablement. Pierre Place donne ici l'impression qu'il peut faire encore mieux, en se montrant peut-être plus ambitieux en termes de sujet et de scénario. Un auteur à suivre...