Avant de disparaître
François-Xavier Molia, alias Xabi Molia, est un auteur et cinéaste français d’origine basque qui enseigne le cinéma à l’Université de Poitiers. Il a réalisé quelques courts-métrages et le film Huit fois debout (2009).
Il est déjà l’auteur de plusieurs romans : Fourbi (2000), Supplément aux mondes inhabités (2004), Le contraire du lieu (2005), Reprise des hostilités (2007), et s’est également illustré comme scénariste d’une bande dessinée, Vers le Nord (2009). Avant de disparaître est son cinquième roman.
La maladie
Après l’effondrement des institutions financières mondiales, une crise sans précédent, la déchéance de nombreux gouvernements et quelques années d’obscurantisme plus ou moins marquées, la croissance repart enfin. Mais avec le printemps se déclare à Paris une étrange maladie, qui, après une forte fièvre, des convulsions et douleurs musculaires, transforme ceux qui sont touchés en monstruosités qui attaquent sauvagement les survivants. Cette « altération » ne tue pas les infectés mais les rend d’autant plus dangereux. La moitié de Paris qui n’est pas encore tombée aux mains de ces créatures est barricadée et vit dans la crainte, pendant que les jeunes sont envoyés au front pour combattre contre l’avancée des infectés.
Antoine Kaplan, 45 ans, est médecin pour la Détection. Il est chargé de rechercher les symptômes de la maladie parmi la population encore saine, afin d’éliminer tout risque de contagion massive ; ceux qui sont infectés sont alors tués avant que ne survienne « l’altération ». Sa femme Hélène, scénariste de bande dessinée, avec qui il vit dans un appartement qui leur a été attribué grâce à sa position d’auteur, a soudainement disparu sans laisser de trace. Alors qu’il continue quotidiennement son travail de médecin en compagnie de son apprenti Sélim, Antoine cherche à comprendre ce qui a bien pu arriver à Hélène, même s’ils ne s’aimaient plus.
Le projet humain
Avant de disparaître se déroule dans un Paris dévasté, déjà mal en point avant l’apparition de la maladie. Il n’y a plus d’électricité, la nourriture est rationnée, les logements manquent et sont réquisitionnés, les citoyens vivent de manière très précaire. La ville de Paris est à moitié détruite : symbole par excellence, il ne reste qu’une petite partie de la Tour Eiffel, et des remparts ont été érigés à l’Est, du côté de la place de la Bastille ou Nation, autour de ce qui reste de la ville, bastion assiégé par les infectés, qui tremble sous les alertes à la bombe. Antoine Kaplan tente de jouer le rôle qui lui a été désigné, à savoir combattre la maladie en découvrant ceux qui en sont victimes avant qu’il ne soit trop tard, pendant que Baptiste, 17 ans, fils issu d’un premier mariage, a été réquisitionné et envoyé au combat contre les infectés. C’est dans ce contexte qu’Antoine va enquêter sur la disparation de sa femme, à l’aide de l’inspecteur Hernandez puis du détective Archer.
La première chose qui frappe en ouvrant ce roman, ce sont ses similitudes avec La Peste d’Albert Camus, qui ne cessent de se développer tout au long de la lecture. Le héros, Antoine Kaplan − tout comme le docteur Bernard Rieux du roman de Camus dans la ville d’Oran− est un médecin qui se retrouve dans une ville close suite à l’apparition d’une maladie jusqu’alors inconnue, dont il va devoir comprendre les symptômes et son évolution. L’altération comporte par ailleurs quelques ressemblances avec les différentes formes de peste. Dans les deux ouvrages, les vies des citoyens est similaire à ce que l’on peut connaître en temps de guerre, à l’image de l’occupation allemande. Dans Avant de disparaître, les porteurs du groupe sanguin AB, plus sujets à la maladie, avaient été pourchassés et parqués dans des camps de quarantaine, avant d’être finalement libérés. Antoine, lui-même AB, a connu cette période et conserve les stigmates de son enfermement. Les deux romans font également écho au Rhinocéros d’Eugène Ionesco, où les habitants d’une ville se transforment chacun à leur tour en rhinocéros.
Que ce soit dans La Peste ou dans Avant de disparaître, le châtiment divin est évoqué. Pourquoi cette maladie ? Parmi les citoyens de Paris, dans le roman de Xabi Molia, certains commencent par prendre parti pour les infectés, comme les protagonistes du Rhinocéros. Un livre anonyme a été publié, « Le Projet humain », écrit par ceux qui soutiennent la maladie et son expansion, et dont on découvre des extraits en même temps qu’Antoine, le narrateur : « Ce qui s’achève pour vous n’est rien pour la nature (…) Cette fin n’est pas celle du monde. L’homme seul s’achève ». La maladie serait un juste retournement du destin contre l’espèce humaine qui détruit la planète et se détruit elle-même. L’Homme serait profondément mauvais, voué à disparaître.
Tous coupables ?
Les thèmes évoqués par Xabi Molia ont donc souvent été abordés, mais le style de l’auteur nous entraîne malgré tout dans son récit. Une plume quelque peu mélancolique, tout en retenue, en simplicité, mais forte et marquante. Il aurait pu décrire avec outrance les ravages de la maladie, les rues et les bâtiments détruits, la folie meurtrière des infectés, mais il n’en est rien. Xabi Molia a choisi de centrer son texte sur le narrateur.
Traitement original, la narration, toujours tenue par Antoine Kaplan, alterne entre la première personne du singulier – en toute conscience et revendication du vécu et de l’action – et la troisième personne du singulier, un « il » plus neutre, comme si le narrateur lui-même s’observait en train de vivre, simple spectateur de son existence, avec un détachement étonnant, comme un homme qui n'a plus envie de rien, plus envie d’être heureux, avec une réflexion intéressante sur ce que nous aimerions être parfois mais que nous n’osons pas devenir, et sur le fait que nous ne sommes qu’une façade dont on peut changer à loisir. La deuxième personne du singulier, le « tu », est également utilisée au cours d’un chapitre, comme une sorte de dialogue entre le narrateur et lui-même.
On croit au départ être à la recherche de la femme du narrateur, Hélène, mais finalement on se retrouve face au passé d’Antoine, à son être profond, et à la nature humaine en général. On en vient à comprendre comment une décision prise lors son séjour au sein du camp d’internement des AB l’a marqué à tout jamais, évoquant ainsi toute une série de références à la littérature traitant des camps de concentration.
La forteresse parisienne dans laquelle se sont réfugiés les habitants pour se protéger des infectés, peut-elle les protéger d’eux-mêmes ? Xabi Molia nous immerge dans une sorte de torpeur, comme celle d’Antoine Kaplan, léthargie avec laquelle on peut faire face aux événements les plus terribles. Les choses horribles, il est vrai, ne nous font pas toujours hurler, pleurer, crier ou même se battre ; souvent, la banalité et le quotidien s'installent même dans les situations les plus terribles, parfois on s'habitue à tout, c’est le propre de l’homme d'être adaptable pour pouvoir survivre à tout prix, et là encore on rejoint le message délivré par certaines grandes œuvres comme Si c’est un homme de Primo Lévi par exemple.
La dernière partie du roman est cependant moins convaincante que le reste. Il n’y a pas vraiment de fin, comme on pouvait s’y attendre d’une certaine façon. Ce n’est pas cela qui dérange le plus, mais plutôt la manière dont la tension retombe, dont la rédemption d’Antoine Kaplan nous est présentée, à travers une symbolique peut-être trop convenue pour que l’on y accroche.
« Je continue de présenter mon visage impassible, les mâchoires serrées. Je sais faire ça, l’homme impassible. J’ai toujours su faire ça. »
La sauvagerie des infectés fait écho à celle de l’espèce humaine, le principal sujet du roman. Ces infectés, d’ailleurs, on ne les voit presque pas. En revanche on se confronte à la psyché du narrateur. Xabi Molia poursuit donc une réflexion sur la nature humaine, déjà initiée par d’autres, mais qui s’appuie sur une écriture percutante et personnelle.