Julian
Robert Charles Wilson est l'un des très grands auteurs de science-fiction d'aujourd'hui. Après des livres comme Darwinia, BIOS, Le Vaisseau des voyageurs ou Les Chronolithes, il s'est véritablement imposé chez nous avec Spin, roman formidable, bourré d'idées géniales, et qui a reçu notamment, le prix Hugo. Tiré d'une nouvelle publiée dans Mystérium, Julian est son nouveau roman.
La fin du pétrole
Après la fin du pétrole et une période de chaos, l'Amérique est revenue à une sorte de XIXème siècle où la vapeur est reine. La technologie a fortement régressé. Fini notamment l'informatique et le plastique. Au niveau politique, le pays est gouverné par un dictateur entré en conflit avec les anciennes nations européennes et par l'Eglise du Dominion, dont la puissance et l'influence jouent un rôle majeur dans la société américaine.
A travers le récit d'Adam, son ami le plus proche, on suit le destin de Julian, le neveu du dictateur. Pour sa propre sécurité, il a été envoyé à la campagne pour échapper à son oncle qui le considère comme une menace potentielle. C'est là que les deux garçons vont se lier d'amitié. Malheureusement, leurs jeux d'adolescents vont brusquement être interrompus par la guerre. D'abord réticents, ils vont être enrôlés de force, Julian sous un faux nom... C'est le début de son ascension vers le pouvoir, malgré lui...
Un confort pour le lecteur mais...
Assez rapidement, on est saisi une nouvelle fois par la vision que nous offre Robert Charles Wilson. On l'a dit, son Amérique du futur ressemble plus à XIXème siècle qu'à un futur ultra technologique, avec tout de même des éléments marquant notre époque comme la fin du pétrole ou le réchauffement climatique. L'écriture, fluide, nous emporte page après page. Mais peu à peu, un malaise s'installe, en grande partie à cause du narrateur.
Celui-ci a en effet pour ambition de raconter la vie de Julian. C'est en tout cas la promesse initiale. Et c'est justement sur ce point que le bât blesse. Le portrait de l'homme dans sa jeunesse est pourtant plutôt bien réalisé. On découvre un Julian que la philosophie et l'art attirent bien plus que les intrigues politiques et la religion qu'il critique vertement. Et s'il est un enjeu pour son oncle qui craint de le voir prendre le pouvoir, on comprend vite que ce n'est vraiment pas une préoccupation pour notre héros qui rêve plutôt de réaliser un film autour de Darwin...
Par la suite pourtant, le narrateur semble tourner autour de son sujet sans vraiment réussir à le saisir. Si on voit toujours Julian agir, l'homme devient de plus en plus mystérieux. Dans ses écrits, Adam s'en éloigne progressivement et même s'ils sont toujours très très proches, on ne voit pas vraiment Julian diriger ses troupes (ses victoires militaires sont d'ailleurs plutôt maigres pour un "conquérant") ni gouverner après son accession au pouvoir. Son arrivée elle-même à la tête des Etats-Unis en remplacement de son oncle est évacuée trop rapidement. Cette distance entre le narrateur et son personnage principal, dont la vie se conjugue malgré lui avec l'histoire de son pays, devient gênante au fil du roman, jusqu'à ce que l'on se détache du récit. Cela engendre une sorte de frustration. Julian aurait pu être un personnage formidable, se débattant contre son destin, puis luttant pour ses idéaux une fois au pouvoir, ou les reniant... Mais de tout cela, rien. A peine sait-on qu'il s'oppose à l'Eglise et qu'il fréquente des philosophes, mais c'est plus évoqué que véritablement mis en scène.
A la place, Adam raconte plutôt sa propre vie, et notamment sa carrière naissante d'écrivain. On pourrait objecter qu'à travers son parcours on suit aussi la succession des évènements de l'histoire américaine. Mais avec dans les parages un personnage comme Julian, c'est un peu comme si l'on avait des informations de seconde main...
Heureusement donc l'écriture et sa fluidité sauve un peu l'ensemble et l'on finit tout de même ce roman, poussé par la curiosité de ce monde du futur et l'envie, l'espoir, de se rapprocher de Julian. A la clef de la frustration donc, mais aussi de très jolies pages.
Au final, on ressort de Julian avec un sentiment mitigé. L'impression que Robert Charles Wilson est un peu passé à côté de son sujet mais aussi le plaisir de s'être délecté de certains passages, de sa plume et de son imagination.