Pour la cruauté des hommes
Les amateurs de cinéma connaissent sans doute Darren Aronofsky, réalisateur américain à qui l'on doit
Pi,
Requiem for a Dream,
The Fountain,
The Wrestler ou, plus récemment,
Black Swan. Ce que l'on sait moins, c'est que
The Fountain est d'abord
sorti en BD (chez Emmanuel Proust en France), le projet de film ayant du mal à se monter. Aronofsky s'était alors associé au dessinateur Kent Williams.
Rebelote pour Noé : n'étant pas sûr de pouvoir l'adapter au cinéma, Aronofsky a préféré le publier en BD, aidé au scénario par Ari Handel, collaborateur régulier du réalisateur. Cette fois-ci, c'est Niko Henrichon qui s'occupe du dessin. Né au Canada, il fit ses études en Belgique avant de travailler sur des comics pour Marvel et DC. Depuis, il habite en France et a collaboré avec Sylvain Runberg sur Hostile, chez Dupuis.
C'est via Henrichon qu'Aronofsky rencontre les éditeurs du Lombard, qui publient le premier tome de Noé en France alors que la série n'est pas sortie aux États-Unis. Le scénariste préfère en effet conserver son indépendance d'auteur, étant donné que la plupart des éditeurs de comics américains sont liés de près ou de loin à des studios de cinéma.
En attendant le déluge
Sur un monde presque entièrement désertique, Noé est un guerrier et un guérisseur, qui tente tant bien que mal de survivre avec sa femme et ses trois enfants. Depuis quelque temps, des visions d'inondation le submergent. Persuadé qu'elles lui sont envoyées par Dieu comme signe de sa colère devant la cruauté des hommes, il tente de convaincre les autorités de Bab-Ilim, seule cité de la planète, de changer de mode de vie et devenir plus respectueux de leur environnement et de ses habitants, humains ou animaux. Mais il se fait chasser violemment de la ville. Il décide alors de partir pour le mont Ararat chercher conseil auprès de son grand-père. Mais il lui faudra traverser le territoires des géants...
Un album pas tout à fait convaincant
Aronofsky revient, avec Noé, à une thématique mystique qu'on trouvait déjà dans The Fountain. Mais s'il s'inspire de la Genèse, son récit n'en est pas une simple adaptation. Il prend place dans un monde dont on ne sait s'il s'agit-il d'une Terre post-apocalyptique ou d'une planète étrangère. Ce qui importe pour l'auteur, c'est de placer ses personnages dans un environnement hostile, propice au déchaînement des passions humaines. De là va naître la volonté de Noé de sauver ce qu'il peut du déluge qui s'annonce.
Si le chemin pris par Aronofsky s'écarte de celui de la Bible et laisse présager une histoire originale, on reste dubitatif devant le traitement du récit et son manichéisme. Certes, l'épisode originel du déluge dans la Genèse ne brille pas non plus par sa subtilité, mais on attendait un peu plus de l'auteur de The Fountain et de The Wrestler. Le sage Noé et sa famille aimante contre les méchants de la ville et l'incompréhension des géants : un cliché que l'on espère voir disparaître dans les albums suivants (il y en aura 4 au total). On attendra donc la suite pour se prononcer sur la qualité du scénario.
Côté dessins, Henrichon fait un travail correct. Son trait ne se démarque pas particulièrement par rapport aux autres BD de ce genre, mais la réalisation est sans défaut. Là où il excelle, c'est dans la composition des ambiances, notamment via la colorisation, que ce soit pour les planches montrant des lieux désertiques ou pour celles représentant les visions submergées de Noé.
Au final, ce premier tome de Noé ne convainc pas tout à fait. On espère que le scénario montera en puissance dans les prochains albums, pour s'affranchir des clichés du genre et gagner en complexité. C'est le moins que l'on puisse attendre de l'auteur de l'impressionnant The Fountain.