AD Noctum. Les chroniques de Genikor
Ludovic Larmarque et Pierre Portrait sont tous deux nés à Bordeaux en 1972 et travaillent également tous deux dans l’univers de l’image, puisque Ludovic Larmarque est photographe, et Pierre Portrait est graphiste. Les noms des deux auteurs auraient pu laisser penser qu’ils se sont choisis des pseudonymes qui riment avec cette thématique de l’image, mais il semblerait que ce soit bien leurs vrais patronymes !
AD Noctum - Les chroniques de Genikor, est leur premier ouvrage publié.
Genikor way of life
En l’an XX62, les Etats-Unis sont en guerre contre la Chine. Pour gagner cette guerre, la société Genikor a créé, par manipulations génétiques, les Ogres, ces satyres sanguinaires, mi-hommes, mi-bêtes aux pieds griffus, qui se glissent furtivement dans les rizières pour attaquer, violer et tuer les femmes de l’ennemi. Mais comment faire des Ogres un bon outil marketing en adéquation avec la propagande élaborée par les story doctors ? Comment les soldats américains qui ont échappé à la mort dans les combats peuvent-ils reprendre le cours de leur vie ? Choisiront-ils la resynch, qui leur permettra de reconfigurer leurs souvenirs en effaçant de leur mémoire les horreurs de la guerre ?
Genikor n’est pas seulement là pour aider à gagner la guerre. Genikor est là pour « donner la vie » à tous les citoyens du monde. Et quoi de mieux que d’apporter le plaisir à ses clients ? Les étalons cyborg Hard-on, goût vanille, chocolat, menthe ou passion, comblera toutes leurs attentes. Pourquoi se priver du bonheur à portée de mains ? Si cela ne suffit pas, Genikor a créé l’androclone. Plus besoin de choisir entre un homme ou une femme. Mais comment faire cohabiter deux individus dans un même corps ?
Avec Zaroff Aventures, il est possible de chasser les animaux disparus, ou même des hommes de Cro-Magnon. Après une petite virée de quelques jours, voilà un trophée de chasse qui fera des jaloux ! Une autre chasse, la prédation sexuelle, peut également être expérimentée, et si cela laisse de mauvais souvenirs, ils peuvent être effacés ! Votre corps ne vous convient plus ? Alors essayez un nouveau modèle ! Mais attention, son propriétaire original n’appréciera peut-être pas.
La pénurie d’eau guette, les ressources se raréfient. Un commerce d’un nouveau genre permet aux plus nantis de ne pas souffrir de la soif. Dans leur tour d’ivoire, les fondateurs de Genikor ne connaissent pas la mort, pouvant être rajeuni à loisir, ou leur esprit pouvant même être téléchargé dans l’ordinateur central. Alors pourquoi Indira souhaite-t-elle connaître les désagréments de la chair en donnant naissance de façon biologique à un enfant ?
Quand le marketing fait foi
Ludovic Larmarque et Pierre Portrait dépeignent, avec leurs Chroniques de Genikor, ce qui pourrait bien advenir de nous si nous continuons sur la mauvaise pente. Une société tellement corrompue que seul le profit compte. Ils nous content les réalités d’un monde devenu la proie du marketing. Genikor, multinationale toute puissante qui imposera son mode de vie même à ceux qui le refusent. Quitte à faire la guerre. Quitte à vendre son âme au diable.
Le format qu’ils ont choisi d’utiliser, des nouvelles représentant des instantanés de la vie ou de l’expérience de certains individus, constitue à la fois la force et la faiblesse de cet ouvrage. Le principe de base est intéressant : des documents, journaux intimes, notes internes, comptes-rendus d’événements – tous liés à une même société, Genikor –, qui permettent de reconstruire peu à peu le puzzle de cet univers. Ces extraits sont couplés à des récits à la première personne, qui narrent diverses expériences personnelles du « Genikor way of life ». Mais ces histoires parcellaires, même si elles sont toutes reliées entre elles pour mettre en lumière la véritable nature de Genikor, ne suffisent pas à former un tout assez solide. Elles manquent un peu de liant. Ces chroniques se présentent comme une esquisse qui ne serait pas terminée, comme s’il nous manquait certains éléments pour compléter ces différentes histoires, qui certes, à des degrés divers, présentent de l’intérêt, mais ne parviennent pas à satisfaire complètement. Peut-être est-ce voulu par les auteurs, puisqu’il est censé s’agir de fragments retrouvés, d’impressions momentanées d’individus, mais cela nous empêche d’adhérer vraiment à l’univers proposé.
Pourtant, certains textes sont marquants, notamment les deux premiers : dans la première chronique, FTA, l’ambiance est angoissante, poisseuse, à la manière du film Platoon. On ressent l’absurdité de cette guerre, et la turpitude de ses instigateurs. Dans la continuité, OK parvient à nous marquer par le sort de ces soldats rescapés du conflit. Mais d’autres textes semblent trop longs et ne présentent pas assez d’intérêt, comme Sexus machina, où l’on suit les envies, désirs et fantasmes de Jade, qui fait appel aux services d’un cyborg Hard-on, sur un nombre de page trop élevé, ou encore 100 états d’âmes, où même si le principe est intéressant, le texte ne convainc qu’à moitié. Le dernier continent, sur l’exploitation éhontée et inhumaine du plus grand nombre pour le bien-être de quelques-uns, marque par son sujet fort, mais pour lequel on aurait aimé un meilleur développement. La dernière chronique, Mes aïeuls, soulève également notre intérêt, sur le sens de la vie, l’immortalité, le sens des actes et la manipulation génétique, avec cette créature hybride, mi-femme, mi-poisson à l’existence absurde. Globalement, on trouve dans AD Noctum de bonnes idées, mais parfois pas assez développées, ou au contraire trop délayée.
Trop parcellaire
Pierre Portrait et Ludovic Lamarque nous donnent à lire des tableaux, des scènes d’un monde terrible dans lequel les sentiments et les qualités humaines n’ont plus lieu d’être. Les Hommes y sont entourés de chimères et deviennent interchangeables ou pire, les instruments de leur propre destruction. Mais ces chroniques constituent une ébauche qui n’est pas assez aboutie ; à vouloir exprimer, par le biais de trop nombreux prismes, ou de façon trop fragmentaire, les concepts de leur univers, les auteurs ne nous permettent pas toujours de les apprécier à leur juste valeur. Un choix narratif qui plaira à certains lecteurs, mais qui en lassera d’autres, qui auraient préféré moins d’histoires au profit d’une seule, plus développée. On referme donc ce livre avec un sentiment d’inachevé.