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Les Faucheurs sont les Anges

Tristan Lathière (Traducteur), Alden Bell ( Auteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 20/04/12  -  Livre
ISBN : 9782352945598
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Giard   - le 31/10/2017

Les Faucheurs sont les Anges

Alden Bell est un pseudonyme pour Joshua Gaylord, dont le premier roman Hummingbirds est sorti en 2009 aux USA. Il signe avec Les Faucheurs sont les Anges un roman salué unanimement par la critique, nominé en 2010 pour le prix Philip K. Dick.
 
 
L’errance est sa demeure. Temple est son nom et elle a 15 ans. Mais dans ce monde en ruine, le nom et l’âge n’ont finalement plus d’importance... Elle tue tout en admirant la beauté du monde, traquant ses miracles pour qui veut les voir. Mais son errance peut-elle avoir une fin ? Son humanité est-elle vraiment éteinte ?

 
Temple, une héroïne entre vide et vie
 
 
C’est qu’elle a du vécu cette petite, cette fillette qui n’en est plus vraiment une. Le corps d’une enfant et la maturité d’une adulte. Une machine de guerre qui cherche dans l’errance ce qui lui reste de son humanité, qui accepte ce que Dieu lui offre de miraculeux dans sa miséricorde, dans ce carnage de chair, de sang et d’os. Elle impose le respect, même pour ce Moïse Todd qui veut sa peau. Quand elle dégaine sa machette gurkha, c’est l’instinct qui la guide, qui agît ― la survie ou la main de Dieu. Et on en revient finalement à cette question universelle existentielle : Qui suis-je ?
 
 
Orpheline, sans souvenir avant Malcolm et l’oncle Jackson, le corps maculé de sang et de chair, elle se demande ce qu’elle est : « J’ai vu le mal, fillette, et tu l’as pas en toi. Alors je suis quoi ? » La réponse, nous, on l’a. Dès le début : elle est dans le titre. Qui a dit que les anges avaient des ailes ? Qui a dit qu’ils devaient être immaculés ? Elle est dure comme la pierre, mais derrière le sang qui macule son visage, l’humanité craque, se fissure et se laisse couler dans des paroles d’angoisses et d’espoirs. D’espoirs, oui, car la vie continue, du moins ce qu’il en reste : le monde est beau dans sa laideur pour qui veut voir. C’est une invitation que Bell nous envoie : au fur et à mesure que vous tournez les pages, ce sont vos yeux que vous ouvrez. Voir au-delà, aller admirer le monde, vivre. Simplement. Et la peur de s’attacher, de perdre et de se perdre à son tour font qu’elle lutte contre elle-même. « Je te sauve pas », « il est rien pour moi », « Je m’en moque » sont autant de mensonges qu’elle se raconte car, pour elle, elle ne mérite pas de compassion. L’ombre du passé lui est intimement attachée. La faute irréparable. Et voici le mythe universel d’une humanité confrontée à ses propres démons. Il y a du Shakespeare dans l’air…

 
À la recherche de l’humanité
 
 
Le cheminement est long, l’errance répétitive ― ce qui s’en ressent fortement à la lecture. Mais il faut du temps pour permettre à l’humanité d’éclore et de s’exprimer dans la pleine puissance de sa beauté fragile. Heureusement que Moïse lui colle au cul pour mettre un peu de piment à l’histoire et instaurer un jeu du chat et de la souris atypique, absurde et drôle. C’est qu’elle a de la répartie cette petite, et elle peut vous envoyer chier royalement du haut de ses 15 ans ! Comment ne pas sourire et même rire à la lecture ? C’est impossible. La force du texte est là : même si tout semble pourri, l’humour résiste, persiste et s’éclate magnifiquement entre chaque giclée crânienne. Le rire est après tout la plus belle preuve de notre humanité. Et il y a ce bon gros bébé de Maury, « son idiot » comme elle l’appelle. Pas une parole ne s’échappe de sa bouche, et pourtant on s’attache à lui irrémédiablement. Il est celui qui donne son humanité à Temple, qui embellit son âme. Sans lui, il n’y aurait finalement pas d’histoire, du moins intéressante, ni de but et de tendresse. À mes yeux, il est le porteur de l’humanité, le compagnon de route d’un voyage sans terminus. Et Temple en est le chauffeur.

 
Ce qui est surprenant et dommage dans toute cette histoire, c’est le manque de femmes. Certes, le personnage principal est notre héroïne, puis quatre autres « figurantes » disons-nous. Mais les hommes semblent parfois plus nombreux que les zombis eux-mêmes… à mon goût. C’est à croire que les femmes ne sont bonnes qu’à faire la popote et pour le sexe (bon, la procréation pour la survie de l’espèce). Femmes : préparez-vous donc à manier des machettes gurkhas, on ne sait jamais !

 
Une fin angélique
 
 
Ce sont les douze dernières pages du récit qui sont les plus belles, les plus poétiques, celles qui marquent. Celles pour lesquelles ce livre mérite d’être lu. L’histoire ne pouvait être écrite autrement sans en perdre de sa puissance. Peut-être partagerez-vous de l’effroi, des doutes et de l’angoisse pour Temple. Pour moi, il n’en a rien été. Il n’y a pas tant de surprises en soi, mais la fin reste saisissante par sa beauté figée dans ce qui semble un somptueux arrêt sur images. Mais ne vous y trompez pas : c’est une tragédie, oui, mais cela ne verse pas dans le mélodrame pour autant. Jamais, pas de larmes, ça ne sert à rien, ça n’a jamais ramené les morts à la vie. Ce n'est pas l’Apocalypse. C’est la vie. Ou pour les indécis, un immense purgatoire.
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