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Le Fleuve des dieux

Manchu (Illustrateur de couverture), Gilles Goullet (Traducteur), Ian McDonald ( Auteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 26/09/13  -  Livre
ISBN : 9782070453610
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chloe   - le 31/10/2017

Le Fleuve des dieux

Ian McDonald fait partie des valeurs sûres de la science-fiction britannique. Parmi ses derniers textes édités en français, citons notamment Roi du matin, reine du jour (Denoël) et Brasyl (Bragelonne). Le Fleuve des dieux a reçu le British Science Fiction Association Award en 2005.

Gangâ Mâtâ

L'Inde a soif, en cette année 2047, et attend désespérément la mousson. Les tensions ethniques sont au plus fort, notamment entre le Bhârat et l'Awadh, entre hindous et musulmans. Vârânacî, sur la rive du Gange, métropole en pleine expansion, surpeuplée et manquant cruellement d’eau, est le visage de cette Inde multiple, où dévotion et mythologie hindoue se mêlent aux technologies les plus évoluées. C'est dans les ruelles et les hauts lieux de cette cité des dieux que vont se jouer l'avenir du pays et celui de l'humanité, autour du destin de huit individus.

Comme autant de bras de Shiva

Les personnages principaux du roman n'ont au premier abord rien à voir les uns avec les autres, sinon qu’ils se côtoient dans une Inde multiculturelle : Shiv, un petit malfrat sorti des bidonvilles, qui a construit son business lucratif avec la vente d'ovaires à destination de cultures de cellules souches embryonnaires ; M. Nanda, un « flic Krishna », qui traque les « aeis » illégales, ces IA supérieures qui s'infiltrent dans les systèmes informatiques, et sa femme Pârvati ; Shahîn Badûr Khan, le conseiller musulman de Sajida Rânâ, Premier ministre du gouvernement hindou ; Nadja Askarzadah, une jeune journaliste suédoise d'origine afghane à la recherche du grand scoop ; Lisa Durnau et Thomas Lull, deux scientifiques américains de génie qui ont créé le projet Alterre, la programmation d'un monde alternatif informatique qui se développe dans sa propre réalité  ; Tal, le « neutre », créateur de décors pour Town and Country, le soapi le plus célèbre du pays joué par des IA ; et enfin Vishram, le plus jeune fils de la grande famille Ray, qui se rêvait comique mais dont le père lui lègue subitement les clés de son empire énergétique ; sans oublier tous les personnages qui gravitent autour d'eux, et ceux qui vont apparaître et se détacher de la foule anonyme et des « galî » (ruelles) de Vârânacî.
Ces protagonistes donnent leurs titres aux différents chapitres du roman car ils en sont la clé de voûte. Leurs parcours conduisent les événements, et les circonstances leur montrent la voie à suivre, dans une chorégraphie complexe à l'image de la danse de Shiva, la « Tândava Nrtya ».

Jñânâ chakshu, le troisième oeil

Car ce qui fait également la qualité du Fleuve des dieux, c'est sa structure dense et précise, nette et sans bavures, où tout s'assemble pour le grand final. La composition des chapitres peut faire penser à celle du poème Les Djinns de Victor Hugo, dont la tension monte doucement, pour atteindre son apogée, puis redescend vers le calme et le dénouement. M. Nanda fait d'ailleurs référence à ces créatures : « Ma Vârânacî est abandonnée aux djinns ».
Ian McDonald a fait le choix de conserver un grand nombre de termes indiens et ne les a pas traduits ni anglicisés – parti-pris judicieux, car rien de tel que ces sonorités indiennes pour adhérer à l’univers proposé. Il faut donc un petit temps d’adaptation pour maîtriser le vocabulaire grâce au glossaire fourni. L'auteur a certainement réalisé un travail de recherche considérable sur la culture et les traditions hindoues, leurs dieux et les détails y afférant. En témoignent les titres des cinq grandes parties, empreints de symboliques divines. Cette immersion complète au cœur de l’Inde est assez similaire à ce que l’on ressent en lisant Le Seigneur de Bombay de Vikram Chandra.

Un petit tour des grands sujets de la SF

Le Fleuve des dieux aborde de grands thèmes de la SF : intelligence artificielle, théories de l'évolution et darwinisme, cybertechnologies, réseaux informatiques, manipulations génétiques, mondes parallèles, artefacts inexpliqués, écologie... qui se marient tous dans le grand bain de cette Inde du futur où les dieux tiennent une place toujours aussi importante auprès de sa population.
L'angle le plus développé sont les « aeis », ces IA à qui l'on demande de prendre part à la société, par exemple en tant qu'acteurs de soap plus vrais que nature, et qui, malgré leur intelligence, ne bénéficient pas des mêmes droits que les êtres humains. Les IA d'un niveau trop élevé, déclarées illégales, sont mêmes traquées par des services spéciaux, dont fait partie M. Nanda. Impossible de ne pas penser à Philip K. Dick et son roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, où là aussi les IA - incarnées en revanche dans un corps artificiel et non pas totalement virtuelles - sont pourchassées pour êtres détruites. Petit clin d'œil de Ian McDonald dans l'introduction de son roman, puisque la citation qui tient lieu d’épigraphe : « N'importe quelle aei assez intelligente pour réussir au test de Turing l'est suffisamment pour savoir de quelle manière le rater », rappelle bien sûr le test de « Voigt-Kampff » inventé par Philip K. Dick dans son roman pour déterminer l'appartenance aux hommes ou aux androïdes.
On pense également aux écrits de Greg Egan, souvent axés autour de l'intelligence artificielle et du mélange entre l'homme et la machine, et notamment à son roman La cité des permutants, dans lequel il développe, comme Ian McDonald, les problématiques liées à l'identité, à ce qui différencie l'intelligence humaine de l'intelligence artificielle, et à la manière virtuelle de vivre de ces dernières, infinies duplications de copies d'elles-mêmes. Côté cinéma, avec les IA mais aussi les drones militaires, Le Fleuve des dieux évoque, dans une certaine mesure, le Terminator de James Cameron.
Les manipulations génétiques sont elles aussi au cœur du propos, avec les « brahmanes », ces enfants génétiquement modifiés qui vivent deux fois plus longtemps que le commun des mortels tout en conservant un corps d'enfant, ainsi qu’avec les « neutres », ces individus qui ont fait le choix de s'écarter de la norme, en perdant leur différenciation sexuelle après maintes opérations et grâce à des implants électroniques.

Brahmâ

À l'image du cycle de la vie dans la philosophie hindoue, celui de la mort puis de la renaissance, le cercle des réincarnations, Le Fleuve des dieux se termine comme il débute, dans le Gange, centre de tout, où tout naît puis disparaît. Ian McDonald nous fait entrevoir cette Inde aux mille visages et les sombres méandres de l'humanité. Il nous entraîne dans le courant de la vie, semblable à celui du fleuve sacré, qui coule comme une artère irriguant ce pays de tous les possibles, pour nous amener à une réflexion sur la nature de la pensée et la réalité de notre univers.

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