Terminus radieux
Être ou ne pas être écrivain de science-fiction ?
Dans le paysage littéraire français, on peut sans se tromper qualifier Antoine Volodine de « drôle de zèbre », tant ce talent si singulier s’ingénie à brouiller les cartes. Ses premières œuvres ont d’abord été publiées dans les années 1980 par la prestigieuse collection « Présence du futur » (alors dirigé par Elisabeth Gille) à une époque où Emmanuel Jouanne et Francis Berthelot (ainsi que le groupe Limite) livraient des fictions innovantes formellement. La biographie de Jorian Murgrave, Le navire de nulle part et Rituel du mépris posèrent les premiers jalons de ce que Volodine appelle le post exotisme, courant littéraire dont il est l’initiateur, le porte-parole… et le seul membre. Barré Volodine ? Pas seulement car il impose à chacun de ces livres une puissance onirique et fictive qui secoue le lecteur (mais attention, certains quittent le navire, telle une de mes tantes qui n’a pas supporté le voyage proposé…). Terminus Radieux, événement de la rentrée littéraire, a obtenu le prix Médicis. Allons de voir de plus près le fumet (radioactif ?) qui s’en dégage…
Cours camarade, le vieux monde est devant toi !
Dans le futur, il y eut une deuxième union soviétique, l’Orbise, qui imposa sa loi socialiste sur une bonne partie du monde avant de s’effondrer devant les assauts du monde capitaliste… et les accidents nucléaires de ses centrales. Kronauer est un soldat perdu de l’Orbise, rejeté vers la Sibérie par la défaite finale avec ses compagnons Iliouchenko et Vassilissa Marachvili. Plus ils se rapprochent de la Sibérie, plus ils sont rongés par les radiations : Vassilissa est la première à souffrir… Non loin de là, la mémé Ougdoul vaque à ses occupations dans le Kholkoze Terminus radieux. La vieille femme, survivante d’une équipe de « liquidateurs », a été rendue quasi immortelle par l’atome et est la compagne de l’étrange Solovieï. Anarchiste, rebelle à l’orthodoxie marxiste-léniniste, Solovieï est aussi une sorte de mage, avec d’étranges pouvoirs sur le temps qui lui permettent de garder en vie des gens décédés des radiations. Lorsque Kronauer sauve une de ses filles, Solovieï est obligé de l’accueillir, non sans ressentiment (ses filles sont à lui). Kronauer ne se doute pas qu’il est à la veille d’un voyage à travers le temps, la magie, ses souvenirs et les fantasmes du vieux sorcier…
Voyage au bout de la nuit rouge
« Le vent de nouveau s’approcha des herbes et il les caressa avec une puissance nonchalante, il les courba harmonieusement et il se coucha sur elles en ronflant, puis il les parcourut plusieurs fois, et, quand il en eut terminé avec elles, leurs odeurs se ravivèrent, d’armoires-savoureuses, d’armoires blanches, d’absinthes.
Le ciel était couvert d’une mince laque de nuages. Juste derrière, le soleil invisible brillait. On ne pouvait lever les yeux sans être ébloui.
Aux pieds de Kronauer, la mourante gémit.
-Elli, soupira-t-elle. »
Notre auteur est inclassable, naviguant entre la littérature de science-fiction et la littérature « blanche » (comme disent les amateurs de polar), maniant effectivement dans son imagination un certain exotisme (une deuxième URSS !) marié à un style qui, définitivement, s’impose. Car Antoine Volodine est un styliste : chaque virgule, chaque complément est bien pesé lorsqu’il ordonne ses phrases, chose rare dans une science-fiction bien plus marquée par des recherches « spéculatives ». Reste que Terminus Radieux n’est pas facile d’accès car notre auteur prend son temps, adopte le ton du monologue tout en peignant l’errance intérieure et extérieure de ses personnages (ma tante ne s’en est pas remise) qui bondissent de rêve en rêve, sous l’œil inquiet de Solovieï.
Soulignons également que Kronauer est un des pseudonymes utilisés par Volodine pour signer des ouvrages post exotiques, signe de la volonté de l’auteur à mêler le réel et la fiction pour créer un univers très personnel.