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Cinema Hermetica

Aux éditions : 
Date de parution : 07/01/16  -  Livre
ISBN : 9782370560148
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AnneSophie   - le 31/10/2017

Cinema Hermetica

S'il y a une chose plus éblouissante encore que la couleur giallo des éditions Super 8, c'est bien leur don pour trouver des parutions originales. Cinema Hermetica, le seul essai de leur catalogue, donne la parole à Pacôme Thiellement, érudit pop et passionné, qui s'attaque ici à onze pierres angulaires de l'histoire du cinéma. Dans cet ouvrage, il y a tout : les films que l'on peut considérer comme « cultes » – Shining, Le Locataire, le Nosferatu de Murnau – des œuvres un peu plus confidentielles et d'autres qui ont fait couler beaucoup d'encre – au hasard, les Nymphomaniac et Antechrist de Lars Von Trier. Chacun de ces longs métrages, dans son propos ou sa conception, possède un aspect ésotérique mais Pacôme ne s'arrête pas à de simples anecdotes. Son propos brasse quantité de références culturelles et se paie même le luxe, au cours de son analyse, de nous renvoyer à nous-mêmes et à l'état de notre monde...

Baissez les lumières, inspirez un grand coup et accrochez-vous aux accoudoirs. Le monde tel que vous le connaissiez va en prendre un sacré coup. 

Devant et derrière la caméra (et autour, aussi)

L'essai de Pacôme Thiellement est atypique. Il ne se contente pas d'analyser un film, ou une carrière cinématographique. Il parle de tout : de magie, de mythes anciens, de notre quotidien, de notre Histoire et même de l'état géopolitique de notre monde. Autrement dit, son entreprise pourrait être sans fin.

En guise de prologue, l'auteur nous entraîne au IIIe siècle, à Alexandrie, pour évoquer les troupes de théâtre. C'est là qu'il situe les origines du cinéma (si l'on met de côté les sorcières et autres chamanes, qui existent depuis toujours). Il poursuit cette introduction jusqu'au Hollywood que l'on connaît... enfin, celui que Pacôme voit. Pour lui, le cinéma est un miroir chargé de nous montrer ce que nous sommes et ce qu'est devenue notre civilisation. Ainsi, le ton est donné : le propos sera barré et dans une certaine mesure, onirique. Il suffit juste de ne pas se perdre en route, ce qui est tout à fait possible. Même si l'auteur digresse sans cesse, tout est cohérent : Pacôme Thiellement retombe toujours sur ses pattes. Cinema Hermetica fonctionne comme un éveil. Il faut juste accepter de regarder sur côté... même si parfois, cela donne le vertige.

Tout au long du livre, l'auteur ouvre l'horizon des films et nous abreuve d'anecdotes méconnues susceptibles de nous faire rêver, ou cogiter. Vous ne vous doutez peut-être pas qu'il existait un cinéma perdu au beau milieu du désert du Sinaï, tout comme vous ignorez sûrement que Nosferatu baigne dans l'occultisme. On apprend ici que son scénariste faisait partie de l'ordre des Rose-Croix. La part d'ésotérisme était bien présente dès la genèse de l'œuvre, puisque l'auteur de Dracula lui-même – joyeusement pillé pour le tournage du film muet – faisait partie de la Golden Dawn, société occultiste anglaise.

Cinema Hermetica n'est pas une simple succession de faits étranges.Tout est lié, réfléchi et chaque nouvelle évocation entre en résonance avec la précédente. Ainsi, dans un étrange effet de miroir, les obsèques de Simone Choule, l'ancienne habitante de l'appartement du Locataire, renvoient inévitablement à l'exhumation de la momie de Toutankhamon et la malédiction qui a suivi...

Il n'est pas nécessaire d'avoir déjà vu les films évoqués dans cet essai, puisque leur intrigue est résumée en détail à chaque début de chapitre. Mais, il faut être honnête, le lecteur appréciera beaucoup plus les analyses des psychologies des personnages s'il les connaît déjà.

D'autre part, ceux qui sont derrière la caméra ne sont pas en reste. Les carrières des réalisateurs sont étudiées dans leur globalité, avec leurs succès et leurs déconvenues – on peut citer Polanski et l'impact du meurtre de Sharon Tate sur ses films. Pacôme Thiellement dresse aussi le portrait de certains acteurs, comme Jack Nicholson, et ce que signifient en filigrane ses interprétations et ses choix de carrière. Selon lui, le film « raconte » des choses sur son réalisateur et ses acteurs.

Mais les digressions de Pacôme Thiellement l'emmènent souvent bien loin de l'univers du film en question...

Des ponts entre mondes réel et fictif

Cinema Hermetica réussit à lier étroitement des œuvres classiques à des références de la culture pop. Dans le chapitre dédié à Nosferatu, Pacôme Thiellement compare ce film muet des années 20 à la série TV Buffy contre les vampires ! En plus de faire se rencontrer deux époques très différentes, il réussit même l'exploit de faire une analyse philosophique poussée de la tueuse de vampires ! Ces « ponts » entre des œuvres apparemment très éloignées suscitent l'envie chez le lecteur d'en découvrir plus... Ainsi, la partie dédiée à Freaks permet d'évoquer la série TV Carnivale – malheureusement interrompue au bout de deux saisons, faute d'audience –, l’œuvre de Polanski nous emmène sur les traces d'Antonin Arthaud et l'analyse de Possession nous renvoie à la conception de l'amour chez De Nerval ! Les exemples sont tellement nombreux que l'on a envie de tout lire, tout voir. C'est bien une des forces de cet essai : la curiosité et la passion de l'auteur sont communicatives – si seulement il pouvait en être de même pour son érudition !

Maintenant que Pacôme a parlé de l'histoire du cinéma, de ses aspects philosophiques et parcouru les différentes disciplines artistiques... Que lui reste-t-il à explorer ? L'aspect politique peut-être. Lorsqu'il parle de Freaks, il évoque la dissimulation du visage et la polémique qu'elle peut engendrer actuellement. Il abat de nouveau la frontière entre fiction et monde réel lorsqu'il fait référence aux problèmes de l'identité française et de l'intégration en marge de son commentaire sur le Locataire. Au détour d'une phrase, il fustige également Manuel Valls, ainsi que les fréquentations des membres du Splendid... L'auteur est aussi passionné pour les choses qui le transportent que pour celles qui le dégoûtent !

Son propos pourrait être sans fin, et pourtant, pas un seul instant, on ne se sent perdus. Certes, l'essai n'est pas facile d'accès, mais il prend des chemins tellement différents et intéressants qu'il vaut la peine de s'accrocher. Il faut accepter de se laisser porter par le propos de l'auteur, même si cela trouble nos repères, même si son ton a parfois des allures de prophétie : « L'Apocalypse, c'est ce que la Terre produit lorsque le Carnaval ne la régénère plus. C'est la réalité qui se déchaîne parce que les formes rituelles ne sont plus exercées et que les inégalités ne sont plus compensées par les mondes renversés de la fête. »

En guise de première approche, je vous conseille de vous rendre sur le site de l'auteur. Vous pourrez visionner les captations vidéos des conférences à l'origine des différentes parties du livre, et pourquoi pas lire un chapitre inédit sur 8 ½ de Fellini. Pour ce dernier, c'est par ici.

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