Livre
Photo de Qui a peur de la mort ?

Qui a peur de la mort ?

Aux éditions : 
Date de parution : 01/09/17  -  Livre
ISBN : 9782253083696
Commenter
Anaelle   - le 18/04/2019

Nnedi Okorafor - Qui a peur de la mort ?

Un lourd héritage

Onyesonwu est une enfant née d’un viol, pendant dans la guerre qui ravage l’Afrique. Rejetée par son peuple en raison de ses origines, elle se révèle pourtant puissante, loin de n’être qu’une victime. Et elle commence à entrevoir l’étendue de son destin lorsque des phénomènes magiques se déclenchent autour d’elle.

Pourchassée par un esprit diabolique, elle force les sorciers de sa ville à lui délivrer leurs connaissances. Au cours de son apprentissage, alors que les incidents se multiplient, elle va découvrir l’identité de son père et les raisons de sa venue au monde. Elle va aussi découvrir qui elle est, et quel est le destin africain légendaire que sa mère lui a donné en la mettant au monde, et en l’appelant « Qui a peur de la mort ? ».

L’Afrique post-apocalyptique

On ne découvre qu’à la fin du roman la clef du cadre de cette histoire. Histoire de ne pas trop spoiler, je dirai juste que dans le fond, il s’agit d’une Afrique intemporelle, vivant depuis toujours au rythme des pratiques magiques et des traditions, dans le désert et les petites villes, ne se souciant de modernité qu’à la marge, avec tout ce que cela comporte de préjugés et de rejet des différences.

Des personnages incroyablement forts

Car les personnages principaux sont presque tous des marginalisés, alors qu’ils ne l’ont pas nécessairement choisi. Choisit-on d’être victime de viol, d’être née d’un viol, d’avoir une couleur de peau différente de ses semblables, d’avoir des dons magiques incontrôlables ? Onyesonwu, sa mère, son compagnon sont des héros malgré eux qui ne font qu’essayer de survivre dans une société qui les rejette ; mais ce sont aussi de véritables héros, presque archétypaux, qui saisissent leur destin à bras le corps, qui prennent des décisions difficiles, qui souffrent dans leur âme et dans leur chair mais qui continuent coûte que coûte – et cela leur coûtera effectivement tout.

Volontaire, passionnée, explosive, obstinée, Onyesonwu est une jeune femme captivante qui lutte contre l’adversité et parvient toujours à rebondir. Sa force de caractère impressionne, ses pouvoirs aussi.

Mais il faut aussi parler des trois amies d’Onyesonwu : Binta, Diti et Luyu, qui occupent une place à part dans le schéma des personnages. Ce sont elles qui évoluent le plus au cours du récit, et cela en fait des personnages vraiment très humains, très beaux, très convaincants – les seuls, au bout du compte, avec lesquels le lecteur peut vraiment s’identifier, car Onyesonwu est vraiment trop forte, trop puissante pour cela. Ce sont donc des personnages très réussis, avec chacune son histoire, son caractère, ses faiblesses – Binta la victime, qui prend sa revanche sur un père abusif, Diti la princesse, qui se lance par amitié dans une guerre qui la dépasse, Luyu l’aventurière, qui trouve un sens à sa vie dans la guerre et l’amitié – toutes très bien dessinées.

Cette amitié nait dans la peur et la souffrance d’une épreuve commune, dans le secret partagé aussi. Et il semble bien que c’est cela qui en fait une amitié hors du commun.

Les figures parentales

Il y a un personnage sur lequel l’autrice ne s’attarde que par petites touches, et c’est presque dommage, c’est la mère d’Onyesonwu. Elle donne longtemps l’impression de n’être qu’une victime de viol parmi tant d’autres, victime qui ensuite se sacrifie pour l’enfant qu’elle met au monde. C’est ô combien réducteur. À la fin du livre, lorsqu’on met ensemble tout ce qu’on a appris sur elle, on obtient... une sorcière bien plus puissante qu’on ne le pensait. Si Onyesonwu est ce qu’elle est, c’est grâce à sa mère.

Un mot aussi sur les deux pères d’Onyesonwu : celui qu’elle appelle « mon père », son géniteur, qui est l’Ennemi, le sorcier-guerrier à abattre dans le récit ; et celui qu’elle appelle « Papa », son père adoptif et le deuxième mari de sa mère, qui est le père et mari que tout le monde voudrait avoir.

Le maître et son disciple

Dans ce roman, la relation maître-disciple est aussi forte et aussi importance que la relation père-enfant, auquelle elle a tendance à se substituer. Et on retrouve ici un thème qui nous est familier depuis Star Wars et Harry Potter : le disciple, particulièrement puissant, devient un sorcier / Sith malfaisant, et son maître doit ensuite affronter sa propre culpabilité et aider le disciple successeur à le mettre hors d’état de nuire. Je vous en ai déjà trop dit...

Un foisonnement d’idées

Nnedi Okorafor nous propose ici un foisonnement d’idées, d’images, d’aventures, d’émotions qui nous sautent au visage dès que nous entrons dans le récit. Son style est, volontairement ou non, à la fois riche, brouillon, poétique ; passées les quelques premières lignes, il nous prend et ne nous lâche plus, nous emmenant dans l’univers mental et physique de cette adolescente qui n’aura jamais une vie normale et va se confronter aux êtres les plus puissants de son pays. Onyesonwu nous parle à la première personne, elle nous parle avec ses tripes et son cœur, et il est problable que sa créatrice fait de même.

Une créatrice et sa création

Le roman se conclu sur la genèse de l’oeuvre, dans laquelle l’autrice se livre à nouveau en expliquant ses origines, sa famille, la maladie et la mort de son père, la puissance des traditions magiques africaines, et enfin, la naissance de ce personnage, Onyesonwu, comme un double de Nnedi, qui va l’aider à faire son deuil, à exprimer sa colère, à renouer avec elle-même.

C’est donc une réussite et un coup de cœur que ce roman, d’apprentissage autant que d’aventures. Vous ne verrez pas le temps passer en le lisant, et vous garderez longtemps en tête Onyesonwu, ses pouvoirs, son destin, et l’Afrique fascinante et intemporelle qu’elle cherche à guérir.

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?