L’appel des Quarante de Sandrine Alexie est le premier volume d’une série prévue pour le moment en 6 tomes, « La Rose de Djam ». La saga est inspirée d’un mythe soufi, la légende du « Djam-i Djam ». Cette légende est proche de celle du Graal. L’autrice est spécialiste du monde musulman et parle couramment kurde et irakien. Elle a auparavant publié un roman, Kawa le kurde en 2005 et a également traduit deux ouvrages de littérature classique kurde.
Une affaire de succession.
Le château de Terra Nuova en Syrie se retrouve sans seigneur suite à la disparition de celui-ci durant l’été 1186. Sa seule descendance est sa nièce Sybille issue d’une famille normande. La forteresse se trouve à la croisée des routes d’Antioche et d’Alep et représente un point stratégique en cette période de conflits (juste avant la troisième Croisade). La situation de Sybille est ainsi risquée et on la presse de reprendre un époux après la mort de son premier mari. Cependant, Sybille n’est pas une jeune femme comme les autres. Elle a reçu une éducation peu banale : elle a appris les arts du combat, à parler les langues de la région et surtout a été l’apprentie du faqîr Shudjâ. Sybille refuse ainsi le mariage ordonné avec Raoul de Bailleul et choisit à la place d’épouser Peir Esmalit, le commandant d’une troupe de mercenaires. Ce n’est toutefois pas un mariage d’amour, juste un choix stratégique pour Sybille qui pense qu’il sera le mieux placé pour défendre le château. Surtout que l’avenir de la jeune femme n’est pas à Terra Nuova. En effet, elle sait par Shudjâ qu’elle a une mission confiée par les Quarante, les gardiens célestes de l’équilibre du monde : elle doit retrouver la rose de Djam, une coupe mythique qui permet de connaitre tous les secrets du monde. Elle part ainsi pour Alep, espérant retrouver Shudjâ et débuter ainsi sa quête.
Roman historique avec un peu surnaturel... pour l'instant.
Si l’histoire peut sembler simple au premier abord, elle se complexifie vite du fait de la région où elle se déroule. Le récit se situe en pleine guerre de religions entre chrétiens et musulmans, mais aussi à l’intérieur des différentes castes. Les querelles entre francs sont nombreuses et les musulmans sont eux aussi divisés entre turcs, arabes et kurdes. Saladin, le chef des troupes musulmanes, poursuit ses conquêtes et vient de reprendre Jérusalem. La force du roman est de proposer un univers très crédible avec une reconstitution historique des plus fidèles qui montre la grande connaissance de l’autrice. Cette restitution aide le lecteur à mieux comprendre cette période trouble dans une région marquée par l’histoire. Les enjeux de la quête de Sybille apparaissent ainsi clairement, tout comme la complexité de cette partie du monde. Sandrine Alexie a ainsi choisi dans ce premier tome de mettre l’aspect historique en avant, l’aspect surnaturel étant très limité. Le côté historique du roman est aussi valorisé par le style très littéraire de l’autrice : le vocabulaire de l’époque est très présent, aussi bien sémantique qu’au niveau des patois régionaux, sans toutefois gêner la lecture. Cela est un peu étrange au début mais on finit par s’y faire.
L’autre aspect à souligner dans ce premier tome est qu’il nous fait découvrir beaucoup de pays. L’héroïne est amenée à voyager au cours de sa quête dans l’ensemble du proche orient pendant une période de guerre. Les déplacement ne s’avéreront pas simples, le danger étant omniprésent. Ce voyage permet aussi de montrer les grandes différences de modes de vie au sein des villes selon les cultures. On a ainsi l’impression d’un récit vivant et en mouvement, même si l’action n’est pas très présente. Le rythme du roman est assez lent, mais gagne en intensité vers la fin. Ce premier tome a une intrigue assez simple et donne clairement le sentiment d’un tome d’introduction. Cependant, elle risque de se complexifier avec les autres livres. Sandrine Alexie pose les bases de son univers qui on s’en doute s’étoffera dans les prochains tomes.
La reconstitution historique va même jusque dans les relations entre les protagonistes. Certaines réactions pourraient nous apparaître étranges de nos jours, mais se comprennent une fois remises dans les circonstances de l’époque. Les personnages sont bien construits et intéressants. Le duo formé par Sybille et Peir est très crédible, on croit à leur relation, à leur parcours pour le moins atypique. Ce n’est pas une relation simple, ni une romance, la rivalité entre eux est très présente. Les personnages se dévoilent peu à peu au fil du récit. Sibylle est un personnage complexe, dur, fort, hautain, mais avec de nombreuses faiblesses. Elle est le reflet du mélange des cultures dont elle est issue.
Un premier volume en forme d'introduction.
L’appel des Quarante est ainsi un tome qui fait œuvre d’introduction à une série de plusieurs livres. Le roman pose les bases d’un univers riche et complexe et de personnages bien campés. Néanmoins, le rythme est assez lent, l’action peu présente. Sandrine Alexie fait preuve d’une très grande connaissance de l’histoire et de la région du proche orient qui rend ce premier tome agréable à lire. Ce roman peut ainsi être un bon tremplin pour découvrir cette période si complexe des croisades. Il n’y aura pas longtemps à patienter pour le second tome qui doit paraître le 22 août 2019.